Sous le titre de «Putin's War» («la Guerre de Poutine»), c'est un sacré morceau que propose, ces jours-ci, le New York Times à propos des racines du marasme russe en Ukraine.
Enquête au long cours basée sur l'analyse de nombreux documents et conversations, certains issus de fuites plus ou moins gênantes, ainsi que sur les interviews de multiples protagonistes, l'article est une analyse poussée de ce qui a mené Vladimir Poutine vers la guerre. Et de la manière dont celle-ci s'est instantanément transformée en un marasme absolu.
Le dramatique massacre de la 155e brigade d'infanterie de marine russe, dont nous avions parlé il y a quelques semaines, le manque de matériel moderne, de formation, l'impréparation totale de ce que l'on pensait être la seconde armée la plus efficace au monde sont décrits par le menu.
Parlent souvent des témoins directs, à qui la hiérarchie n'a cessé de mentir sur ce qu'ils allaient vivre, sur le fait même qu'ils allaient devoir se battre –jusqu'à ce que les premiers obus ne se mettent à déchiqueter les corps de leurs camarades.
Il y a le corps de ce soldat de 54 ans, Ruslan, dont le corps a été retrouvé par les forces ukrainiennes. Sur lui, l'homme portait notamment des documents issus de Wikipédia et supposés lui donner quelques indices sur la manière dont il devait se servir de son fusil à lunette: voici à quoi s'est résumé l'entraînement d'un homme transformé en chair à canon par sa hiérarchie.
Le New York Times explique également avoir pu mettre la main sur l'une des cartes utilisées par les troupes russes pour tenter de s'y retrouver en territoire ennemi: loin des outils numériques modernes mis à la disposition des forces ukrainiennes, celle-ci avait été dessinée dans les années 1960, sous l'ère soviétique, et n'était en l'état d'aucune utilité.
La cour des désastres
Parmi les points intéressants de ce long et passionnant article, mis en scène avec talent, est l'histoire topique d'un homme, Sergei Khrabrykh, chargé par un sous-fifre du ministère russe de la Défense de masquer la corruption généralisée au sein du système.
Sa tâche: en un mois et avec un budget de 1,2 million de dollars, préparer la visite d'officiels haut placés à la prestigieuse division Kantemirovskaya en faisant de son camp d'entraînement délabré une sorte de village «Potemkine».
Il lui fallait ainsi masquer la manière dont les fonds dépensés sans réserve par le Kremlin depuis des années pour la modernisation de son armée avaient été aspirés, tout du long, par de chaînes infinies de mains malhonnêtes. Les fameux officiels se sont donc promenés au milieu de faux murs immaculés, ne les conduisant que dans les recoins les moins indignes de la base –il leur a en revanche été interdit d'aller aux toilettes, celles-ci n'ayant pas été réparées.
Parmi les autres informations les plus importantes révélées par le long article du New York Times, la manière dont un char russe a tiré –volontairement– sur des troupes amies, preuve de dissensions mortelles au sein des troupes du Kremlin.
Ou bien encore ce moment crucial où les États-Unis ont formellement cherché à dissuader l'Ukraine de ne mener une opération contre le général Valery Gerasimov, patron des opérations du côté russe en visite sur le front, de peur que le conflit n'éclate directement entre Washington et Moscou.
L'article revient également en longueur sur les racines du mal, un Vladimir Poutine isolé, mal informé, persuadé de pouvoir prendre l'Ukraine en quelques jours seulement, entouré de courtisans ne cherchant qu'à confirmer ses impressions.
«Ils lisent sa pensée et lui servent ce qu'il veut entendre», explique ainsi un officiel anonyme, qui compare le phénomène à l'algorithme d'un réseau social finissant par ne vous montrer, toujours, que ce que vous voulez voir.
Le New York Times décrit enfin comment Vladimir Poutine, qui a préparé l'invasion dans le plus grand des secrets, a piégé une partie de ses proches, des grands oligarques du pays, en les faisant apparaître à ses côtés à la télévision d'État alors que la guerre commençait.
L'idée était de mouiller et salir chacun de ces «tycoons», qu'ils le souhaitent ou non: si certains ne se seraient de toute façon pas fait prier, tous ont été sanctionnés par l'Occident, et ils n'avaient plus d'autre choix que de suivre leur maître sur le chemin du désastre.