Entamée fin février 2022, l'invasion à grande échelle de l'Ukraine décidée par le président russe Vladimir Poutine ne manque pas d'histoire de brigades et de bataillons russes décimés au front: le 27 mars, nous relations ainsi celle de la 155e brigade d'infanterie de marine russe, détruite et (difficilement) reconstituée huit fois en douze mois seulement.
Mais les documents américains ayant récemment fuité sur un forum Discord –fuite pour laquelle le jeune Jack Teixeira a été arrêté le 13 avril– ont également révélé que les spetsnaz, ces forces spéciales des armées russes aussi craintes que respectées, avaient été décimées en Ukraine du fait d'une utilisation peu conventionnelle de leurs talents par un commandement aux compétences contestables.
Comme toutes les forces spéciales de toutes les armées du monde, les spetsnaz sont parmi les troupes russes les plus durement entraînées. Selon le Washington Post, qui revient sur ce leak, il faut généralement quatre ans pour former ces unités d'élite: on ne les remplace donc pas si facilement si elles tombent au combat.
Dotées d'un matériel et d'engins de pointe, elles sont pensées pour agir lors d'opérations furtives, de renseignement ou de sabotage par exemple, ou au cours d'autres missions choc –l'antiterrorisme, parfois. Avec leur entraînement exigeant, leur équipement dernier cri et leur tendance à ne faire aucun quartier, il s'agit d'une force de frappe avec laquelle il est difficile de rivaliser.
Rob Lee
— Ghost in the Dark (@Ghostinthereal) April 14, 2019
Mar 29, 2019
Photos of Rosgvardia's SOBR spetsnaz unit in Irkutsk. Interesting seeing a PKP MG + ammo feeding backpack. pic.twitter.com/Kp1nPnrx1L
Si la suite a été moins glorieuse, l'un des faits de gloire les plus fameux de l'une de ces formations, en l'occurrence du groupe Alpha, reste l'opération Chtorm-333 («Tempête-333» en français): le 29 décembre 1979, des troupes russes menées par ces soldats d'élite ont pris d'assaut le palais Tajbeg à Kaboul, en Afghanistan, et, en quelques minutes, tué le président Hafizullah Amin et près de 200 de ses gardes du corps.
Pas vraiment connus pour leurs grandes retenue et délicatesse, les spetsnaz russes ont été envoyés en opération lors de nombreuses situations de crise, en particulier durant le conflit tchétchène –à l'occasion des prises d'otages de l'école de Beslan (Ossétie du Nord) en septembre 2004 ou du théâtre Doubrovka de Moscou en octobre 2002, par exemple.
Casse-pipe
Mais dans les opérations extérieures, lors desquelles ces unités sont souvent secrètement utilisées par le Kremlin, comme dans les missions menées sur le territoire russe, les spetsnaz pourraient se faire discrets ces prochaines années: selon les documents consultés par le Washington Post, les brigades de forces spéciales russes ont subi jusqu'à 95% de taux d'attrition lors de la guerre en Ukraine.
Ces formations ont été très en pointe dès le début du conflit: ce sont assez logiquement elles qui ont été chargées d'infiltrer Kiev pour tenter d'assassiner le président Volodymyr Zelensky dès le début de l'«opération spéciale» de Vladimir Poutine. Le problème est qu'en pointe, elles le sont demeurées dans les mois qui ont suivi. Les documents consultés par le WaPo expliquent ainsi que le commandement russe, peu confiant dans les qualités guerrières de ses troupes les plus basiques, a souvent utilisés ces forces très entraînées sur le front.
À Kharkiv, Marioupol ou plus récemment à Vouhledar (oblast de Donetsk), à rebours de la logique qui aurait voulu qu'elles ne soient utilisées que pour des missions ultra spécialisées, les spetsnaz ont donc été envoyés au massacre, comme les autres qu'ils étaient supposés renforcer.
Résultat: des centaines d'hommes tués malgré un entraînement plus qu'exigeant, et des brigades réduites à peau de chagrin. La 346e brigade, par exemple, n'aurait vu que 125 commandos sur 900 survivre à cette boucherie sans queue ni tête, quand la 22e aurait souffert d'un taux d'attrition ahurissant compris entre 90% et 95%.
vehicles paired with infantry (Russian expert Rob Lee referred to them as possibly razvedchiki (scouts) and Spetsnaz). Several Tigrs have been knocked out so far as well. As I mentioned in my last post, the Head of the Kharkiv regional administration, Oleg Sinegubov, pic.twitter.com/o1KgyvNEcl
— Storm (@hazerstormy) February 27, 2022
"The 22nd and two other [Russian] spetsnaz brigades suffered an estimated 90 to 95 percent attrition rate, the assessments say...the 346th — 'lost nearly the entire brigade with only 125 personnel active out of 900 deployed.'” @AlexHortonTX https://t.co/aNBKlMPhAs pic.twitter.com/jRvxffJ74V
— Rob Lee (@RALee85) April 14, 2023
Observateur affûté du conflit et membre du Foreign Policy Research Institute, Rob Lee note que la destruction rapide de ce qui constitue l'un des meilleurs atouts russes, notamment en matière de reconnaissance avancée ou de sabotage, a été un désastre pour la suite des opérations.
Une fois ces talents spéciaux perdus, rien ne pouvait en effet les remplacer, et ce manque a ensuite pu largement peser sur les difficultés tactiques des Russes. C'est également un coup dur et profond pour les armées de Moscou sur le moyen et le long terme: il faudra des années pour reconstituer ces brigades dépeuplées, temps pendant lequel le pays ne pourra les utiliser, ni en Ukraine ni ailleurs.