La guerre est une chose horrible, généralement pour les deux camps. Dans le cas de celle que mène la Russie en Ukraine depuis février, les exactions commises par les troupes de Moscou semblent nombreuses, innombrables même. Elles sont menées contre des militaires ukrainiens mais aussi contre des populations civiles, visées chaque jour dans tout le pays par des frappes directes et sans réel objectif militaire.
La récente reprise de Kherson par les forces de Kiev –comme celles de Boutcha ou de Kharkiv pour ne citer qu'elles– montre que l'armée russe et ses supplétifs du Groupe Wagner ont laissé dans leur sillage des horreurs systématiques, notamment une torture à grande échelle des populations locales.
Mais c'est du côté de l'Ukraine et de ses soutiens que, ces derniers jours, une vidéo sème un profond trouble. L'on y voit une poignée de militaires à l'écusson jaune et bleu, dans la petite localité de Makiïvka (oblast de Donetsk), faire précautionneusement sortir une dizaine de soldats russes d'un édifice, les bras en l'air, avant de les faire se coucher dans la cour d'une ferme.
Il s'agit à l'évidence de prisonniers de guerre, auxquels un sort notamment codifié par la troisième convention de Genève doit donc être réservé. Mais soudain, ce qui semblait être une opération menée dans le calme se transforme en un indicible bain de sang: un soldat russe sort armé et se met à tirer, provoquant la riposte immédiate de ses gardes ukrainiens.
Une deuxième vidéo, filmée par un drone, montre la suite de cette scène terrible. Comme le décrit le New York Times, qui a analysé les images avec grand soin, on y retrouve les onze mêmes soldats russes inanimés, faces contre terre, baignant dans une vaste mare de sang.
Le militaire russe ayant ouvert le feu a été tué dans le feu de l'action. Mais concernant ses compagnons, au sol et désarmés, il semble difficile de croire à autre chose qu'une exécution massive.
GRAPHIC: Videos have appeared of Russian POWs being executed in Makiivka in Donetsk Oblast, shared by war reporter Aleksandr Kots. pic.twitter.com/OmQ46V63Fe
— Danny Armstrong (@DannyWArmstrong) November 18, 2022
Enquête
Pour le docteur Rohini Haar, conseiller médical de l'ONG Physicians for Human Rights interrogé par le quotidien américain, «il semble que la plupart d'entre eux aient été exécutés d'une balle dans la tête», bien qu'ils aient aisément pu être considérés comme hors d'état de nuire. Il pourrait donc s'agir d'un crime de guerre.
Plus nuancée, Iva Vukusic, experte en la question travaillant pour l'université d'Utrecht (Pays-Bas), explique que ces seules vidéos ne sont peut-être pas suffisantes pour caractériser, aux yeux de la loi, un crime de guerre. «Y a-t-il eu une ou deux rafales au moment où le dernier Russe est sorti et a ouvert le feu vers les Ukrainiens? Ou était-ce après que la menace immédiate a été neutralisée, comme un acte de vengeance? Dans ce dernier cas, ce serait plus clairement un crime de guerre.»
Les conventions de Genève prévoient par exemple l'interdiction d'actes de «perfidie». Ceux-ci sont définis comme «faisant appel, avec l'intention de la tromper, à la bonne foi d'un adversaire, pour lui faire croire qu'il a le droit de recevoir ou l'obligation d'accorder la protection prévue par les règles du droit international applicable dans les conflits armés». Faire semblant de se rendre pour ouvrir le feu pourrait être considéré comme tel.
Ces images ont, bien sûr, largement circulé du côté russe, sur les réseaux sociaux bien sûr, mais également dans les médias plus grand public. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains a indiqué à l'agence de presse Reuters en avoir pris connaissance et souhaiter mener une enquête approfondie.
Iva Vukusic, quant à elle, estime que les autorités ukrainiennes devraient également monter au créneau et annoncer le lancement d'une enquête, ce qu'elle avait déjà fait au début de la guerre après la mise en ligne d'une vidéo d'atrocités similaires. «Ils devraient s'emparer de cette opportunité pour envoyer un message: “Nous ne voulons pas d'une guerre sale. Nous voulons combattre avec honneur, et dans la légalité”», affirme-t-elle.