Selon le chercheur Christopher Sibona, unfriender quelqu'un «a d'importantes conséquences psychologiques» sur la personne ainsi effacée. | Tandem X Visuals via Unsplash
Selon le chercheur Christopher Sibona, unfriender quelqu'un «a d'importantes conséquences psychologiques» sur la personne ainsi effacée. | Tandem X Visuals via Unsplash

Pourquoi se faire «unfriender» sur Facebook est si contrariant

Ça fait mal, et l'ego n'est pas le seul à en prendre un coup.

«J'ai beau être très peu active sur Facebook, je vis toujours mal le moment où je découvre que quelqu'un m'a supprimée de ses amis», relate @EglantineRbd sur Twitter. Une réaction tout à fait banale.

La majorité des personnes ainsi unfriendées, très exactement 51,7% si l'on se fie aux travaux de Christopher Sibona, spécialiste des réseaux sociaux qui a étudié de près ce phénomène, sont «attristés» (sad) par cette fin d'amitié 2.0 et 68,5% en sont «ennuyés» (bothered). Plus l'on estime la relation avec la personne qui a cliqué sur l'option «Retirer de la liste d'amis», plus l'on est affecté·e de manière négative par ce dénouement amical funeste.

L'ébranlement est aussi plus fort lorsque l'on parvient à identifier la personne qui nous a unfriendé·e et que l'on n'a pas juste constaté une baisse innommable d'effectifs dans sa liste d'ami·e·s, indique une autre étude, menée par la chercheuse en sciences de la communication Jennifer L. Bevan.

On se sent visé·e. «Quand je vois qu'ils ont gardé certaines connaissances en commun mais qu'ils m'ont supprimée moi, c'est encore plus violent, décrit @EglantineRbd dans un autre tweet. Je les imagine faire le tri "Elle oui, lui oui, elle oui, elle NON, NOPE, NO WAY"

Même lorsque la personne n'a d'amie que le nom et que le lien était ténu, le petit clic qui y a mis fin est loin d'être anodin. Pas seulement en raison du sentiment d'exclusion généré par ce ménage numérique.

Pas non plus parce que ce n'est pas un épiphénomène –en 2009, le verbe «unfriender» a en effet été désigné mot de l'année par le Oxford American Dictionary; une enquête du Pew Research Center révélait aussi que, en 2011, 63% du peuple de ce réseau social avait retranché des personnes de sa liste d'ami·es (contre 56% en 2009).

Cette action, rédige Christopher Sibona, «a d'importantes conséquences psychologiques» pour les éliminé·es. Et celles-ci, loin d'être virtuelles, sont provoquées par les spécificités de la plateforme plus que par les caractéristiques de l'amitié ainsi liquidée.

Rupture déchiffrée

Offline, il suffit souvent de s'éviter, voire d'arrêter de se contacter, pour que la relation prenne fin. On s'en aperçoit des semaines, des mois voire des années après, on se dit qu'on s'est perdu de vue, que nos chemins ont divergé, qu'on a cessé de fréquenter les mêmes cercles… C'est un processus, somme toute, plutôt passif, qui rend parfois un peu nostalgique mais n'engendre guère de vexations.

Online, ça se passe aussi en douceur et avec discrétion. Quand on est la personne unilatéralement unfriendée, on n'a rien à faire non plus, pas même son consentement à donner, à l'inverse de la demande d'ami·e, qui requiert une volonté mutuelle.

Notre liste de contacts sur une plateforme est un marqueur "objectif" de notre identité, au sens où c'est un objet concret, auquel tout le monde peut se référer; c'est presque administratif, ça objective la liste d'amis et le fait qu'on connaisse ces personnes.
Christophe Prieur, maître de conférences en sociologie

Avec toutefois une particularité 2.0: Facebook fournit «un indicateur précis de la dissolution de l'amitié par un des membres par le biais de la fonction "Retirer de la liste d'amis"», notent Christopher Sibona et son acolyte Steven Walczak.

Ce repère manifeste, c'est le nombre d'ami·es. Puisque l'on ne reçoit pas de notification nous alertant de cette terminaison relationnelle, on ne peut s'apercevoir que l'on s'est fait virer qu'en voyant ce chiffre décroître, ou alors, par hasard, en allant sur un profil et en y découvrant la rupture consacrée. La désagrégation du lien est alors tangible, matérialisée.

Repères identitaires

Or, pointe Christophe Prieur, maître de conférences en sociologie qui conduit des recherches sur la sociabilité et les usages des outils de communication, «notre liste de contacts sur une plateforme de réseaux sociaux est un marqueur "objectif" de notre identité, au sens où c'est un objet concret, auquel tout le monde peut se référer; c'est presque administratif, ça objective la liste d'amis et le fait qu'on connaisse ces personnes».

Des recherches ont par exemple montré que le nombre d'ami·es Facebook était un indicateur du statut social et de l'attractivité physique. Ne plus être sur la liste a alors de quoi heurter, on se sent moins désirable.

Encore plus lorsque l'on s'investit intensément sur Facebook et qu'on utilise cet outil pour maintenir les liens sociaux existants, révélait l'étude dirigée par Jennifer L. Bevan: pour celles et ceux très actifs sur Facebook, la perte d'ami·es «compromet la façon dont ils se présentent et sont perçus par autrui en ligne».

Les gens qu'on a rencontrés, les expériences qu'on a vécues avec eux, c'est ce qui fait de nous ce qu'on est aujourd'hui. Il y a des amis qu'on n'a pas envie de perdre, parce qu'on se dit que ça fait partie de nos repères.
Nicolas, 38 ans, chef d'entreprise de vente de mobilier

Ce n'est pas qu'une question d'ego ou de fierté mal placée. La reconnexion avec de vieilles connaissances joue le rôle de «renforcement de l'identité, surtout celle passée», appuie la chercheuse en sciences de la communication Kelly Quinn.

C'est ce que formulait Nicolas, 38 ans, chef d'entreprise de vente de mobilier, 145 ami·es et sur Facebook depuis sept ans, aux chercheuses Claire Bidart et Cathel Kornig. «Les gens qu'on a rencontrés, les expériences qu'on a vécues avec eux, c'est ce qui fait de nous ce qu'on est aujourd'hui. Il y a des amis qu'on n'a pas envie de perdre, parce qu'on se dit que ça fait partie de nos repères.» En toute logique, la fin du lien vient altérer notre profil. Qui plus est sans qu'on ait notre mot à dire.

Surprise inamicale

Si l'on a fait le choix qu'une personne fasse partie de notre réseau, c'est parce que l'on considère qu'elle contribue à notre identité sur Facebook, à la représentation que l'on veut y donner de soi-même, expose le sociologue Christophe Prieur.

Le problème, c'est que son choix à elle, qui est à l'opposé, nous est imposé. «C'est comme notre apparence physique: on aime pouvoir décider d'un jour à l'autre de changer de coupe de cheveux mais on peut vivre assez mal le fait de se la faire imposer.»

Logique, comme le remarquait l'étude dirigée par Jennifer L. Bevan, que les émotions négatives suscitées chez la personne unfriendée soient plus conséquentes lorsque c'était elle qui avait été à l'initiative de l'amitié numérique.

C'est aussi parce qu'on ne s'y attend guère: 73% des personnes interrogées par Christopher Sibona rapportent avoir été «étonnées» (surprised) d'avoir été unfriendées. Cet effet de surprise n'est pas sans lien avec l'émergence de sentiments négatifs.

Pour preuve, le chercheur indique que si la personne mettant fin au lien Facebook l'évoque au préalable avec celle unfriendée, alors cette dernière est moins susceptible d'être atteinte par cette décision inamicale; en gros, une rupture claire et nette est mieux appréhendée qu'une fin inexpliquée.

Plus les raisons de la cessation du lien sont mystérieuses, plus l'on risque de se demander à quoi est dû ce nettoyage et pourquoi notre profil n'a plus trouvé grâce aux yeux de l'ex-«ami·e».

Tromper l'attente

La déception vient également de la rupture non pas amicale mais avec les attentes et les usages de ce réseau. «Genre la personne ne veut plus aucun contact avec moi, plus de nouvelles, même pas un petit "Happy bday" ou un "Ça fait longtemps, qu'est-ce que tu deviens?"», détaillait @EglantineRbd dans son tweet.

Comme le faisaient remarquer Claire Bidart et Cathel Kornig, sur Facebook, il est de coutume de se satisfaire de liens souvent dormants. «Dans bien des cas ces retrouvailles en restent là: savoir ce que l'autre est devenu, s'assurer mutuellement que l'on se souvient de cette époque et conserver l'ami sur Facebook. […] Ils conservent une place dans un coin de Facebook, avec éventuellement un échange rituel annuel, à l'occasion d'un anniversaire (là aussi rappelé par l'outil).»

C'est bien ce que leur confiait Sylvain, 43 ans, cadre commercial, 300 ami·es et depuis trois ou quatre ans sur Facebook: «Je ne ressens pas le besoin d'interagir avec eux.» On se regarde et on se garde comme ami·e sans forcément correspondre.

Or, outre la collecte d'informations et la satisfaction de sa curiosité, rappelle leur confrère Christophe Prieur, «il y a une promesse des liens faibles: on se dit que, par ce biais, il peut nous arriver de la nouveauté, des informations inhabituelles, des occasions, des ouvertures… On rencontre quelqu'un de sympa dans une soirée, on l'ajoute comme amie, on sait bien qu'il y a de fortes chances que ça ne donne rien mais on veut se donner toutes les possibilités. C'est une sorte de bouteille à la mer». Au cas où.

L'interruption non volontaire de ce lien relativement ensommeillé nous force à voir la réalité en face: le temps a passé, on n'a rien fait de cette amitié (y avait-il même quelque chose à en faire?), une porte s'est fermée, les potentialités qu'elle ouvrait avec.

Ce n'est donc pas tant la perte d'une amitié que l'on regrette que l'altération de nos perspectives, celles profilant notre présence virtuelle et nos espérances sociales.

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