Quiconque a déjà aperçu se découper, à l'horizon, la skyline de Manhattan connaît cette sensation: il semble impossible qu'une telle concentration de masse ne fasse pas s'écrouler la terre sur laquelle elle est posée.
Il se trouve que l'instinct est le bon, et que les conséquences sont sérieuses: lourdes, les grandes métropoles s'enfoncent lentement mais sûrement sous le poids de leurs colossaux gratte-ciels.
Comme le raconte Bloomberg, le projet à 100 millions de dollars visant, à San Francisco, à empêcher la Millennium Tower et ses cinquante-huit étages de s'affaisser et de gîter plus dangereusement qu'elle ne le fait depuis quelques années n'a rien d'exceptionnel.
De Jarkarta à Mexico, des villes sur pilotis de Sibérie à Lagos au Nigéria, l'embonpoint des mégalopoles et l'affaissement qu'il provoque menace d'engloutissement un cinquième de la population mondiale.
Dans une étude publiée début 2021 dans AGU Advances, le sismologue américain Tom Parsons a fait le calcul pour la zone de San Francisco: selon une estimation basse, l'ensemble des bâtiments de la région fait peser un poids de 1.600 milliards de kilos sur le sol qui les supporte.
Cela accentue l'affaissement causé par ailleurs par le pompage des nappes phréatiques, les mouvements tectoniques, la nature meuble de la terre ou l'érosion naturelle. Parsons note que le poids des villes et de leurs constructions ne contribue certes que de quelques milimètres par an à leur enfoncement.
Les pieds dans l'eau
Mais le scientifique pointe également que le phénomène, avec l'urbanisation rampante de certaines régions, risque de s'accélérer avec le temps. «En particulier dans les pays en voie de développement, où il pourrait y avoir une augmentation de 50% des population venant se masser le long des côtes, avec des constructions qui suivront le moment venu», précise-t-il.
Problème: ce phénomène d'affaissement coïncide bien sûr avec celui de l'inexorable montée des océans, favorisée par le changement climatique et menaçant des pans plus larges encore de la population mondiale –300 millions de personnes sont directement menacées d'ici 2050.
Il n'existe pas de solution technique globale au phénomène. «C'est simplement l'effet de la gravité, et on ne peut pas réellement lutter contre ça», explique Parsons. Jakarta, où le drainage des nappes phréatiques est pointé comme principale responsable du phénomène, s'enfonce de près de 10 centimètres par an –voire beaucoup plus dans certaines zones– sous son propre poids.
Nulle stratégie de consolidation n'a été imaginée: le gouvernement indonésien a carrément décidé de déménager la capitale du pays à Bornéo, afin de conserver ses pieds au sec.