Dans l'esprit de Vladimir Poutine et de ses généraux, et selon les renseignements occidentaux, l'invasion de l'Ukraine et la décapitation du gouvernement Zelensky n'auraient dû être qu'une question de quelques jours.
Une supériorité aérienne a priori écrasante, des missiles de croisière, pièces d'artillerie ou monstrueuses armes thermobariques à profusion, près de 200.000 soldats prêts à fondre sur les grandes villes du pays: rien ne semblait pouvoir résister à la toute-puissance russe.
Rien, sauf à peu près tout –en l'occurrence rien sauf l'Ukraine, les Ukrainiens et les Ukrainiennes. Plus de deux semaines après le début du conflit, celui-ci s'est ainsi, pour les forces russes, transformé en un bourbier bien plus complexe qu'initialement prévu.
Kiev n'a pas été prise, les cieux du pays ne sont pas totalement maîtrisés, les drones ukrainiens font merveille sur une intendance et une logistique russes totalement défaillantes, les pertes humaines et matérielles sont colossales et, sans intervenir directement dans le conflit, les pays de l'OTAN déversent des milliers de précieux équipements anti-chars ou anti-aériens qui font la terreur des bataillons et du ravitaillement russe.
La stratégie russe semble désormais être celle déjà employée en Tchétchénie ou en Syrie notamment: écraser le pays, ses villes, ses hôpitaux comme à Marioupol, sa population comme partout ailleurs, sans aucune retenue ni discernement.
Et alors que Vladimir Poutine a dès avant l'invasion prévenu qu'il avait le doigt sur la gâchette atomique en cas d'ingérence occidentale, la question peut légitimement se poser: ainsi dans les cordes, et afin de reprendre la main sur le cours des choses et montrer à nouveau la réalité de sa redoutable puissance, la Russie pourrait-elle s'en remettre au feu nucléaire?
À en croire Volodymyr Zelensky, qui pousse pour la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de l'Ukraine, cette menace atomique n'est rien d'autre que du «bluff». «C'est une chose d'être un assassin, a-t-il ainsi expliqué lors d'une interview donnée à des médias occidentaux, mais une toute autre chose de se suicider.»
Pour la plupart des experts occidentaux, comme le rapporte Business Insider, le risque que le président russe ne s'en remette à son arsenal nucléaire est également faible, voire presque nul.
La tentation du pire
Cependant, «la plupart» ne signifie pas tous. En outre, certains signes telle l'ultime volte-face américaine quant à la fourniture de MiG-29 polonais aux forces aériennes ukrainiennes, après le feu vert pourtant publiquement donné par le secrétaire d'État Antony Blinken, prouvent que les pays de l'OTAN semblent ne pas totalement écarter une escalade atomique.
Sans aller jusqu'à l'effacement total de l'Ukraine par la puissance de l'atome et des plus gros missiles du pays, la Russie en a les moyens. Elle dispose ainsi de 1.600 têtes nucléaires dites «tactiques»: des bombes atomiques de petite taille, capables de faire de très larges ravages sur un champ de bataille, d'annihiler des bunkers, ou de raser les quartiers entiers d'une ville.
«Ce n'est pas une bonne chose, et c'est quelque chose que personne ne veut réellement, y compris Poutine», explique à Business Insider le général en retraite Kevin Ryan, expert de la Russie et membre à ce titre du Belfer Center for Science and International Affairs de Harvard. «Mais la guerre en Ukraine est tout ce qu'il a, poursuit-il. S'il ne réussit pas, il sera poussé vers la sortie.»
Analyste pour le Marshall Fund, Jonathan Katz abonde. «La différence entre ce conflit et celui en Tchétchénie ou en Syrie ou d'autres attaques dans le passé, explique-t-il, c'est que l'OTAN et les États-Unis se tiennent juste de l'autre côté de la frontière, armant directement les Ukrainiens et les aidant à défendre leur pays.»
Si une ligne rouge devait être considérée comme franchie par Moscou, la livraison des MiG-29 polonais ou la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne par exemple, alors «toutes les options seraient sur la table».
Mais si les têtes nucléaires tactiques, supposément mieux ciblées, étaient utilisées par la Russie pour définitivement mettre l'Ukraine au pas, les dégâts seraient considérables en cas de réponse, probable, du côté occidental. Considérables et globaux.
Il y a quelques années et comme le rappelle Business Insider, des chercheurs de l'Université de Princetown calculaient ainsi que l'utilisation d'une seule de ces armes tactiques pouvait dégénérer en un conflit nucléaire global n'ayant plus rien de tactique. Celui-ci pourrait coûter la vie à 91 millions de personnes dans le monde, en trois heures seulement.
Personne n'a intérêt à déclencher une telle apocalypse. Mais alors qu'avant même l'invasion de l'Ukraine, la Russie plaçait de redoutables missiles Kinzhal dans l'enclave de Kaliningrad et les tournait potentiellement vers l'Europe de l'ouest, sait-on réellement ce qui se joue actuellement, et ce qui se jouera dans les prochaines semaines, dans la tête de Vladimir Poutine?