Un sit-in à Karthoum, en mai 2019. | Mohamed el-Shahed / AFP
Un sit-in à Karthoum, en mai 2019. | Mohamed el-Shahed / AFP

La junte soudanaise a coupé internet, le peuple l'a rebranché

Un avocat malin a trouvé la faille pour rétablir le réseau d'une nation aspirant à la démocratie.

À l'échelle mondiale, les arrêts ou ralentissements d'internet et les blocages des réseaux sociaux orchestrés par des gouvernements ont été multipliés par sept depuis 2015.

Selon les chiffres d'Access Now et de la coalition #KeepItOn, plus de la moitié ont lieu en Inde, où limiter l'accès au réseau est depuis longtemps un outil politique –le Cachemire peut en témoigner.

L'an passé, l'une des coupures les plus drastiques s'est produite au Soudan. Mais loin d'accroître le contrôle sur la population, elle a entraîné une révolution démocratique dans le pays, racontée dans une passionnante enquête de Rest of World.

La situation explose en avril 2019, quand Omar el-Bechir, le dictateur qui gouvernait le pays depuis plus de trente ans, est évincé par ses généraux. Un mouvement social grondait depuis des mois, à la fois en ligne et hors ligne.

La prise du pouvoir par la junte ne calme pourtant pas la colère des Soudanais·es, qui réclament un gouvernement démocratique. Des milliers de manifestant·es affluent dans les rues de Khartoum et y organisent pendant deux mois des sit-ins protestataires.

Le 3 juin 2019, au dernier jour du ramadan, des membres d'une milice redoutée éparpillent la foule avec des lance-flammes. Leurs crimes sont captés en direct par les caméras des smartphones des victimes. Des vidéos du massacre, qui a causé la mort d'au moins 100 personnes et fait 700 blessé·es, sont diffusées sur Facebook Live ou enregistrées sur WhatsApp.

Inexpérimenté, le nouveau gouvernement panique face à la fuite d'informations et décide de couper complètement internet en guise de représailles. En quelques heures, le Soudan disparaît du réseau mondial; les opérateurs téléphoniques du pays cessent toute activité.

Les Soudanais·es se réfugient dans leurs foyers: impossible de savoir quelles rues sont encore sûres sans pouvoir accéder à des sites ou à des groupes Facebook, et les discussions par SMS sont trop faciles à surveiller.

Procès contre un opérateur

À peine une semaine plus tard, Abdelazim Hassan, un avocat d'entreprise impatient, a l'idée de poursuivre en justice son opérateur téléphonique, Zain, en faisant valoir que celui-ci avait illégalement renié les termes de son contrat avec lui. Après tout, l'entreprise avait promis de lui délivrer internet quoiqu'il arrive, à condition qu'Hassan paie sa facture tous les mois.

Le pari est osé, absurde presque, alors que tant de personnes ont perdu la vie quelques jours plus tôt. Mais contre toute attente, la démarche fonctionne: la justice donne raison à Hassan et oblige Zain à relancer internet le 23 juin... uniquement pour lui.

Les Soudanais·es obtiennent gain de cause le 30 juin: une marche gigantesque –la plus grande de l'histoire du pays– oblige le régime militaire à accepter de négocier une transition vers un gouvernement civil.

Le 9 août 2019, la Haute Cour de justice du Soudan accorde une nouvelle victoire à Hassan, venu défendre un recours collectif: tous les opérateurs téléphoniques du pays reçoivent pour ordre de restaurer internet pour leur clientèle. L'accès complet au réseau est rétabli le jour-même.

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