Et si une partie de l'air que l'on respire, et des gaz à effet de serre que nous relâchons en trop grandes quantités dans l'atmosphère terrestre, nous permettaient de nous nourrir? C'est l'idée, en apparence saugrenue mais en pratique réaliste, que poursuit la start-up Air Protein: transformer le dioxyde de carbone de l'air en protéines comestibles.
Le concept n'est pas nouveau. Comme l'explique le Wired britannique, le fondateur et la fondatrice d'Air Protein, John Reed et Lisa Dyson, n'ont fait que reprendre les choses là où la Nasa les avait laissées dans les années 1960.
À l'époque, l'agence spatiale américaine cherchait un moyen de nourrir des astronautes partant pour de longs voyages dans l'espace. L'une des pistes suivies était de combiner le dioxyde de carbone présent dans leur atmosphère avec des microbes particuliers pour créer de la nourriture.
Autrefois employés par le prestigieux Département de l'énergie du Berkeley Lab, Lisa Dyson et John Reed connaissent le poids de l'agriculture dans le changement climatique. La consommation globale de viande dans le monde a doublé en vingt ans et, avec une population de 10 milliards d'habitants en 2050, devrait continuer à grimper dans les prochaines décennies.
L'impact environnemental est grand: sans même parler d'autres impacts profonds sur la nature, l'agriculture est responsable à elle seule d'un quart des émissions de gaz à effet de serre, notamment de méthane et de dioxyde de carbone (CO2). Réussir à créer de la nourriture avec ce dernier serait donc une manière élégante de boucler la boucle et, peut-être, un nouveau moyen de fournir des protéines au monde sans saccager son environnement.
C'est, dès 2008, ce qu'ont cherché à faire Reed et Dyson avec Kiverdi, une structure spécialisée dans la capture et la transformation du carbone, pour engraisser les terres agricoles, fournir des aliments au secteur de la pisciculture ou recréer du plastique notamment.
Air Protein est un «spin-off» de Kiverdi. L'objectif? Utiliser désormais le dioxyde de carbone –et des cultures microbiennes– pour fournir des protéines, sous forme de viande synthétique, aux humains.
Hydrogénotrophes et à point
Comme la Nasa a cherché à le faire dans les années 1960, la start-up utilise la biologie particulière des bactéries hydrogénotrophes pour créer son bifteck. Elles sont cultivées dans des cuves de fermentation où elles sont alimentées en minéraux, en oxygène, en eau, en nitrogène et, donc, en dioxyde de carbone.
Le résultat? Une farine riche en protéines, que la start-up peut ensuite transformer, par divers procédés déjà connus de l'agroalimentaire, et en particulier du secteur des aliments de substitution, en une substance goûtue, savoureuse et texturée –un steak de saumon, une entrecôte, un nugget de poulet n'ayant nécessité la mise à mort d'aucun animal.
Si on ne jugera pas encore des résultats gustatifs, gastronomiques et nutritifs de la chose, elle offre de multiples bénéfices pour l'environnement, explique Air Protein. Non seulement le procédé n'émet pas de carbone, mais il en consomme au contraire. Avec des installations ad hoc, il pourrait même capturer directement dans l'atmosphère celui dont l'humanité a tant besoin de se défaire.
D'autre part, les installations d'Air Protein peuvent prendre infiniment moins de place que celles des fermes du monde entier, précisément 1,5 million de fois moins de surface que l'agriculture classique, selon la start-up. Qui explique en outre qu'à production égale, la consommation d'eau, une question de plus en plus aigüe partout dans le monde, serait 15.000 fois moindre.
Reste la question du coût, cruciale pour qu'une solution, quels que soient ses bénéfices, puisse éventuellement s'imposer sur un marché. Selon Lisa Dyson, les grandes économies en terres et en ressources que permet le procédé d'Air Protein pourraient rendre les produits de la structure rapidement compétitifs.
«Notre technologie va nous permettre non seulement d'être compétitifs dès le départ, mais surtout d'avoir une structure de coûts qui ne pourra que baisser avec le temps», explique la cofondatrice. Elle y croit, mais n'est pas la seule: Air Protein a d'ores et déjà réussi à lever plus de 30 millions de dollars, de la part d'investisseurs tels que Barclays ou les fonds ADM Ventures et GV.