En France comme ailleurs, le collectif Anonymous s'est fait si discret ces derniers temps qu'il a fini par se faire presque oublier. Pour mémoire, Anonymous est un groupement très informel et non structuré de personnes qui utilisent leurs compétences en sécurité informatique pour mener différentes actions, dans un but contestataire.
Parmi les grands œuvres du collectif, on peut citer Chanology, qui perdure, mais il convient d'admettre que le groupe a perdu de sa superbe et de sa renommée. De manière assez impressionnante, Anonymous a pourtant refait surface avec force et bruit le 31 mai, via un simple tweet.
You had Jeffrey Epstein killed to cover up your history of child trafficking and rape. We've have the recipts here: https://t.co/zYnSn3kCNe
— Anonymous (@YourAnonCentral) May 31, 2020
https://t.co/rfqlmd4Mm4
En faisant un rappel des faits concernant l'affaire Epstein, le compte a généré des centaines de milliers de retweets et de likes et le hashtag #Anonymous a été utilisé plus de 2 millions de fois sur la seule journée du dimanche 31 mai 2020.
Le volet Epstein
Pour rappel, Jeffrey Epstein était un financier devenu multimillionnaire. Adepte des soirées mondaines, il ne rechignait pas à côtoyer les célébrités et même à leur prêter ses résidences. En 2008, il a été condamné à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement pour racolage de mineur·es. Il n'en fera que treize et sera inscrit au fichier des délinquants sexuels.
De nouvelles accusations verront le jour en 2015 et 2016 et une plainte accusant nommément Jeffrey Epstein et Donald Trump sera enregistrée au tribunal civil le 18 juin 2016. La plaignante décrivait des actes d'abus et de violences commis par les deux hommes lorsqu'elle avait 13 ans. Deux personnes ont corroboré son témoignage.
Finalement, Jeffrey Epstein a été arrêté en juillet 2019 et retrouvé mort dans sa cellule en août de la même année. Entre-temps, le répertoire personnel d'Epstein a été mis en ligne, montrant un carnet d'adresses qui dépasse largement les frontières américaines et faisant craindre un véritable réseau de prostitution de mineur·es. En France, une enquête a été ouverte et aux États-Unis, les investigations semblent encore en cours.
Concernant l'affaire Epstein et la piqûre de rappel par le compte @YourAnonCentral, elle mélange des faits avérés, avec des documents publics et vérifiés, et d'autres éléments qui n'ont pas été accrédités, notamment une liste de victimes présumées.
De quoi faire fleurir sur Twitter de graves accusations envers le top-modèle Naomi Campbell, qui aurait alimenté le réseau de prostitution d'Epstein. On a également pu lire que la princesse Diana avait été assassinée parce qu'elle avait connaissance de victimes de l'entourage du prince Charles.
Quant à la liste de victimes, qui circule sous forme de photos, elle a été prise sur un blog qui lui-même se base sur un site intitulé Wayne Madsen Report. Créé et géré par Wayne Madsen, ce blog n'est pas exactement ce que l'on pourrait appeler une source fiable. La fiche Wikipédia américaine de Madsen le présente comme un conspirationniste et il était un invité régulier d'Alex Jones, autre figure assez connue dans ce domaine.
Difficile de savoir quelle audience ce site génère outre-Atlantique, mais on peut relever que l'inscription n'est pas gratuite et qu'il y a de la publicité pour d'autres contenus à différents endroits du site. Une rapide recherche sur Google montre que le site dispose d'une certaine renommée, mais la plupart des résultats renvoient vers des sites conspirationnistes ou classés à l'extrême droite.
Affaire complexe, climat social tendu et réseaux sociaux ne font pas bon ménage. L'autre volet de la résurgence du collectif Anonymous a été la divulgation d'informations concernant la police de Minneapolis, dont quatre agents ont été limogés à la suite de la mort de George Floyd, un homme noir, après son interpellation violente.
La police de Minneapolis dans le viseur
Ce même dimanche 31 mai, un jeu d'e-mails et de mots de passe des officiers de la police de Minneapolis a été mis en ligne sur Pastebin. Outil en ligne permettant de copier et coller du texte ou du code de manière anonyme, il est devenu l'un des supports privilégiés pour partager des fuites de données.
La revendication figure en tête de la base de données. «Le site officiel de Minneapolis a été hacké et une base de données contenant e-mails et mots de passe a fuité. Hacké par @PowerfulArmyGR et @namatikure», est-il écrit. Ces deux comptes Twitter utilisaient un graphisme proche de celui d'Anonymous, ainsi que les différents hashtags du groupe.
Le premier –Powerful Greek Army– a été suspendu le 1er juin 2020 aux environs de 0h45. Ne comptant que 309 tweets, il recensait surtout des actions relativement simples de piratage –DDOS, défiguration de sites par exploitation de failles de sécurité–, le tout enrobé d'un certain militantisme. Le second, Nama Tikure, ne semble pas très actif. Créé en mars 2017, il n'a posté que 137 tweets et a été suspendu le 1er juin à 0h59.
Une base plus complète avait été mise en ligne sur Mediafire, mais a depuis été supprimée. À ce stade et en se fiant aux revendications des personnes précédemment citées, il est fort probable que celles-ci se soient basées sur une vulnérabilité qui n'a pas été corrigée pour extraire les e-mails et les mots de passe des forces de l'ordre de Minneapolis. La base de données piratée a également été supprimée de Pastebin, vraisemblablement par le site lui-même.
Le compte @YourAnonCentral a relayé le piratage et l'attribution, mais a surtout mis en avant les violences policières qui secouent les États-Unis et les accusations de pédophilie contre Donald Trump.
Troy Hunt, créateur du service Have I Been Pwned a enquêté sur la fuite de la base de données de Mineapolis. Pour lui, la revendication par Anonymous est fallacieuse: la base de données en question avait déjà été piratée.
Anonymous vs Donald Trump
Pendant le week-end, le compte @YourAnonCentral a posté plus de 500 tweets, tous dénonçant la violence policière, le racisme de la police américaine ainsi que la politique du président américain.
Mais de manière assez curieuse, les tweets de la semaine précédente ne visaient principalement que la politique extérieure de Donald Trump. Durant le mois d'avril, le compte s'est intéressé à la situation de la Corée du Nord, à celle de la Russie, ou encore à des questions liées au changement climatique.
De failles de sécurité, d'actions en ligne et autres protestations numériques, il ne semble plus en être question. À la place, de longs threads soulignant les faiblesses des candidat·es à la primaire, des articles de presse et depuis quelques jours, des photos et des vidéos des protestations aux États-Unis.
Il serait très réducteur, vu la diversité des profils, de considérer ce compte comme étant une sorte de porte-parole officiel du collectif. Mais avec plus de 2 millions d'abonné·es et sa très bruyante activité lors du dernier week-end de mai, il est devenu un porte-voix et un vecteur désormais impossible à ignorer. Il permet de prendre la température d'une certaine Amérique et d'une autre forme de militantisme.