Depuis quelques années, notamment sous l'impulsion des mobilisations de militantes et grâce aux témoignages de célébrités, le public est de plus en plus sensibilisé à l’endométriose. Lors de leurs règles, l’endomètre des femmes atteintes de cette maladie, c’est-à-dire la muqueuse qui recouvre leur utérus, ne fait pas que s’écouler par le vagin mais s'insinue aussi dans leurs trompes, causant de vives douleurs. Il peut aussi atteindre d’autres organes, et l'on suppose que la maladie peut rendre infertile.
Malgré cette récente prise de conscience, la maladie reste mal connue et mal diagnostiquée. Pourtant, l'endométriose est loin d’être rare: elle toucherait environs 10% des femmes en âge de procréer (la maladie se déclare dès les premières règles et s’arrête le plus souvent après la ménopause).
Alors qu’une part significative de la population féminine en souffre, les recherches sur le sujet restent largement insuffisantes. Beaucoup de femmes touchées témoignent de médecins se bornant à expliquer que les douleurs des règles sont normales, ce qui cause des diagnostics tardifs nécessitant parfois des opérations chirurgicales. La maladie a même été érigée en symbole du biais sexiste de la médecine et du tabou qui, jusque dans ce milieu, entoure la ménorragie.
Aux États-Unis, par exemple, le National Institute of Health n’a consacré que 7 millions de dollars (environ 6,2 millions d'euros) à une affection pourtant aussi répandue que l’asthme et le diabète. Deux maladies qui ont respectivement reçues l'année dernière une enveloppe avoisinant les 265 millions d'euros et les 882 millions d'euros, sur un budget d'environ 32,6 milliards d'euros. Plus choquant: la somme dédiée à l’endométriose devrait baisser d'environ 882.000 euros cette année. Ce qui correspond à moins d’un dollar (soit moins de 88 centimes d'euros) par Américaine touchée.
Prendre les choses en main
Devant l’inaction des pouvoirs publics et du monde de la médecine en général, Noémie Elhadad, professeure d’informatique biomédicale à l’université de Columbia, a pris l'initiative de prendre les choses en main: en 2016, elle a lancé Citizen Endo, un projet destiné à mieux comprendre l’endométriose.
Consciente du manque de financements, la professeure, elle-même atteinte de la maladie, savait qu’elle devrait faire preuve de créativité afin de rassembler le plus de données possible. Avec le soutien de l’Endometriosis Foundation of America, elle a donc créé Phendo, une application disponible sur iOS et Android.
Cette app fonctionne de manière similaire à Clue ou à d'autres applications de suivi de règles. Les utilisatrices peuvent quotidiennement renseigner leur historique médical, leurs symptômes, les médicaments qu’elles utilisent, leur régime alimentaire, leur niveau de douleur et toutes autres données utiles.
En janvier 2019, Citizen Endo affirmait que 6.000 personnes dans soixante-cinq pays participaient à l’expérience, ce qui en fait déjà la base de données la plus complète sur le sujet. «Identifier les différents phénotypes [ensemble de traits observables, ndlr] va nous aider à comprendre pourquoi certaines femmes répondent bien aux traitements alors que d’autres sont infertiles, et pourquoi d’autres encore ne sont pas soulagées après la ménopause», explique l'initiatrice du projet.
Noemie Elhadad estime que le problème dépasse celui de l’endométriose. «Autour du monde, les symptômes des femmes ne sont pas entendus», selon elle. C’est pourquoi elle aimerait étendre la méthode de Phendo à d’autres maladies, comme le syndrome de Stein-Leventhal, une maladie des ovaires encore mal connue.