L'Arktika est, pourrait-on dire, un joli pépère. Un navire massif, le premier d'une nouvelle classe de brise-glace à propulsion nucléaire qui, espèrent les autorités russes, renforceront leur mainmise sur les mers congelées du cercle polaire.
Selon son constructeur, Rosatomflot, l'Arktika est le plus gros et le plus puissant des brise-glaces du monde. Il porte le même nom qu'un bateau soviétique qui, en 1977, fut le premier navire de surface à atteindre le pôle Nord. Sa construction a débuté dans les chantiers de Saint-Pétersbourg en 2012 et, quelques écueils plus tard, il a nagé ses premières brasses en 2020.
Popular Mechanics donne les chiffres: l'Arktika fait 567 pieds [173 mètres] de long pour 112 [34] de large, déplace 33.500 tonnes d'eau et, surtout, est mu par des réacteurs nucléaires RITM-200, développant la bagatelle de 175 mégawatts. En comparaison, les sous-marins militaires les plus gros peuvent atteindre 550 MW, quand la classe Rubis de la Marine française se limite à 48 MW.
Le site américain note que les brise-glaces sont vitaux pour une partie de la population russe. Deux millions d'âmes vivent au nord du cercle polaire, et leur ravitaillement à l'année dépend de ces navires spécifiques. Ceux-ci tracent leur sillon en écrasant les mers gelées de leur poids –l'Arktika est capable de venir à bout d'une couche de glace de 3 mètres d'épaisseur environ.
Suez polaire
Mais c'est surtout l'avenir que Vladimir Poutine lorgne avec envie. En 2018, à la faveur d'un réchauffement climatique rendant la traversée plus aisée, un porte-conteneurs réussissait à relier l'Asie à l'Europe en empruntant le passage du Nord-Est. S'ouvrait alors un mini-canal de Suez polaire à même de chambouler le transport maritime mondial, cœur et artères de la mondialisation: en empruntant cette route, les navires de commerce peuvent gagner jusqu'à quarante précieux jours de trajet.
L'Arktika ne sera pas le seul à sillonner ces mers glacées: deux navires jumeaux, l'Ural et le Sibr, sont actuellement en construction et Vladimir Poutine a annoncé pour les années à venir la formation d'une flotte de treize de ces brise-glaces nucléaires.
L'opération n'est bien sûre pas gratuite: en contrôlant la région, la Russie pourra faire payer aux compagnies de transport maritime l'ouverture du passage par ses vaisseaux, et les retombées économiques peuvent être colossales.
Popular Mechanics note que l'intérêt n'est pas simplement commercial, mais aussi militaire et géopolitique. Le transport de troupes ou d'armements en tous lieux dans le cercle polaire russe sera facilité par cette flotte atomique –rappelons que le détroit de Bering n'est large que de 83 kilomètres.
En outre, il est probable que la fonte des glaces permette l'exploitation de nouveaux gisements d'hydrocarbures pour les États-Unis ou le Canada. La Russie aura alors de quoi faire pression si les relations devaient se tendre avec ses deux vieux rivaux polaires.