La semaine écoulée fut douce-amère pour Tesla. Côté pile: des résultats à l'excellence tout à fait remarquable. Dans un contexte sectoriel pourtant des plus tendus, la firme qui, il y a quelques jours encore, assommait la concurrence avec des soldes colossales, annonçait le 25 janvier une progression record d'à peu près tous ses chiffres clés en 2022.
Les observateurs notaient en particulier un bénéfice s'établissant à 12,5 milliards de dollars (11,4 milliards d'euros environ), ainsi que la mise sur le marché de 1,369 million d'automobiles, un progression de près de 50% par rapport à l'année précédente. En grande difficulté ces derniers mois, notamment du fait des frasques d'Elon Musk avec Twitter, le cours boursier de Tesla rosissait en conséquence.
Côté face, c'est un peu plus embêtant, et ce sur le long terme: la publication américaine Consumer Reports, sorte de bible de la consommation outre-Atlantique dont les tests et jugements sont grandement respectés et écoutés, frappe Tesla en plein cœur en démontant ce qui est supposé être l'un de ses points les plus forts, la fonction d'assistance à la conduite, nommée Autopilot.
Selon la longue analyse de Consumer Reports publiée le 25 janvier, cet élément qui, d'emblée, a fait de Tesla une entreprise de la tech avant d'être un constructeur automobile, a fini par prendre beaucoup de retard sur une concurrence féroce –General Motors, Ford ou Mercedes notamment–, dont les propres assistants de conduite ont fini par placer l'Autopilot dans le ventre mou du peloton du secteur.
Ainsi que l'explique Consumer Reports, ces systèmes nommés en anglais «active driving assistance», ou ADA, consistent en l'addition de deux capacités distinctes: l'«adaptative cruise control» (ACC), qui permet à la voiture de régler son allure en fonction de son environnement, et la «lane centering assistance», qui lui permet de tourner ou de changer de file en cas de besoin ou d'urgence.
Sans les mains (ni la tête)
Consumer Reports a testé douze de ces systèmes, qui présentent tous des caractéristiques particulières. Désormais intégrés à de nombreux véhicules placés sur le marché comme sur les routes, ils sont cependant loin d'être égaux.
S'ils constituent «une avancée importante qui peut aider à rendre la conduite plus facile et moins stressante», «ils ne permettent pas du tout à une voiture de se conduire toute seule», explique Jake Fisher, le patron des tests automobiles de la publication. «À la place, ils créent un nouveau type de conduite, en collaboration avec les ordinateurs de votre véhicule. Quand les constructeurs le font bien, cela peut rendre la route plus sûre et la conduite plus simple. Mais s'ils le font mal, ça peut être dangereux.»
À ce petit jeu de délicat équilibre entre automatisation et sécurité, ce sont Ford et son système BlueCruise, General Motors et son Super Cruise, puis Mercedes qui ont le mieux réussi. Tesla, autrefois en pointe, chute en revanche au classement, dans lequel elle pointe à la septième place. L'un des critères les plus importants sur lesquels Consumer Reports se base est la sécurité des systèmes et la manière dont ils surveillent l'attention de la personne derrière le volant, s'assurant qu'elle regarde la route et qu'elle est prête à intervenir en cas d'urgence.
Ces systèmes passent parfois par l'installation de caméras scrutant le regard du conducteur ou de la conductrice, de capteurs capables de déterminer si ses mains sont bien sur le volant et d'alertes diverses en cas de manquements à cette obligation évidente d'attention. Ils sont d'autant plus primordiaux que des études montrent que les pilotes font très rapidement trop confiance en leur système de conduite assistée ou automatique une fois qu'ils s'en servent régulièrement, ce qui pose de sérieux problèmes de sécurité routière, précise Consumer Reports.
«Nous observons des situations fréquentes dans lesquelles le niveau d'attention sur la route est plus bas que celui que l'on attend traditionnellement d'une personne au volant, surtout compte tenu des limitations connues de ces systèmes, qui nécessitent que le conducteur soit en permanence prêt à reprendre le contrôle de manière sûre et rapide», détaille Pnina Gershon, de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT).
«L'autonomisation permet de libérer des ressources, ajoute-t-elle. Et de manière peu surprenante, les conducteurs utilisent ces ressources “libérées” pour toute autre chose que la conduite.» Que pouvoir jouer à Elden Ring sur la console du véhicule devienne un argument de vente, comme c'est le cas pour Tesla, n'est peut-être pas la plus sûre des idées, pas plus que d'autres activité plus olé olé encore.
À ce titre, BlueCruise et Super Cruise sont les plus «sérieux». Ils surveillent d'assez près l'attitude de la personne au volant et ne lui laissent pas l'opportunité de divaguer trop longtemps. D'autres systèmes sont en revanche beaucoup plus laxistes, se contentant d'une petite pression régulière sur le volant pour considérer que tout va bien.
L'Autopilot de Tesla, comme celui de Mercedes, ont ainsi, lors des tests, laissé les véhicules rouler trente secondes sans changer d'allure et sans aucune intervention du conducteur. Cela signifie, précise Consumer Reports, que la voiture a pu rouler plus de 800 mètres sans que le conducteur ne soit concentré sur la route. «Une situation plutôt risquée», conclut la publication –et il est difficile de ne pas abonder.
La question est d'une grande sensibilité. Le 18 janvier, il était révélé par un ingénieur se confiant à l'agence de presse Reuters que la première vidéo de démonstration de l'Autopilot de Tesla, diffusée en 2016, avait été truquée en bout en bout.
Agence américaine chargée de la sécurité routière, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a le constructeur dans le collimateur, estimant que les performances survendues de ses systèmes de conduite assistée ou autonome. De nombreuses procédures sont d'ailleurs en cours, notamment à la suite d'accidents sérieux mettant en cause l'Autopilot tant vanté par Elon Musk.
Agreed, update coming in Jan
— Mr. Tweet (@elonmusk) December 31, 2022
Tesla, de son côté, semble n'en avoir cure. Un récent tweet a ainsi attiré l'attention des autorités fédérales: dans celui-ci, le patron affirmait, en réponse à un utilisateur, réfléchir à la possibilité de couper les alertes en cas de manque d'attention.