Il n'est un secret pour personne que la pandémie de Covid-19, ses deuils, ses confinements et ses anxiétés ont eu sur la santé mentale de tout le monde un profond impact. Les pilotes d'avion et les personnels navigants ne font pas exception, mais il existe dans leur cas une différence pour le moins notable: ces professionnels ont entre leurs main la sécurité de centaines de passagers.
Comme le rapporte le Guardian, les spécialistes du Lived Experience & Wellbeing Project, programme spécialisé du Trinity College de Dublin, préviennent: alors que les pilotes commencent, avec la reprise très progressive du trafic aérien, à retrouver en masse leurs aéronefs et les cieux dans lesquels ils évoluent, aucun ou très peu de suivi n'a été mis en place pour monitorer l'état de leur santé mentale.
Pourtant cruciale, comme l'a notamment montré –exemple extrême– le drame de la Germanwings, la question était déjà en suspend avant même l'irruption de la crise.
«Nous ne pouvons pas mettre ça sous le tapis ou maquiller les choses. Les données montrent que les pilotes avaient des difficultés avant le Covid. Mais ils n'en parlaient pas à leur employeur, du fait de la stigmatisation et de la peur de perdre leur licence et leur salaire», explique au quotidien britannique Paul Cullen, lui-même pilote et collaborateur du Trinity College.
Lors d'une enquête menée en 2019, une équipe de recherche a découvert que 18% des 1.000 pilotes interrogés déclaraient souffrir de dépression modérée, et 80% de burn-out modéré. Les trois quart des personnes concernée n'envisageaient en revanche pas d'en parler à leur compagnie aérienne.
Une seconde enquête, menée en août 2000, soit au cœur de la crise, a révélé que cette dernière affectait bien plus durement les pilotes et personnels navigants que la population générale. «Une fois de retour au travail, ces problèmes qui se posaient avant le Covid vont revenir. Mais la résilience individuelle ne sera pas aussi forte qu'avant et cela pourrait avoir un impact sur la sécurité des vols», prévient Paul Cullen.
Stigmatisation
Si des règles ont été mises en place à la suite du drame de la Germanwings, consistant à la fois en des tests avant l'embauche et en des programmes de soutien en cas de problème, l'équipe de recherche du Trinity College note que ces préventions restent loin d'être suffisantes.
Les compagnies aériennes ne mènent pas leurs propres études internes sur la santé mentale de leurs pilotes et personnels navigants et la peur de ces derniers de perdre leur job peut pousser nombre d'entre eux à ne pas vouloir s'ouvrir sur d'éventuels problèmes psychologiques.
«L'aviation est un secteur extrêmement sûr, mais c'est également un secteur sans pitié», témoigne Niven Phoenix, pilote et patron de Kura Human Factor. Selon lui, les compagnies «ferment volontairement les yeux» sur la question, qu'elles considèrent comme un embarras.
Prendre pleinement conscience de ces questions est la première clé pour résoudre un problème qui, au-delà de ses conséquences sur les individus concernés, peut également représenter un risque sécuritaire majeur.
«Les compagnies doivent fournir un soutien à leurs équipes –un cursus sur la conscience des questions de santé mentale, des structures de discussions entre pairs, l'accès à des conseillers spécialisés», explique Joan Cahill du Trinity College.
Les régulateurs semblent commencer à comprendre. Répondant au Guardian, Janet Northcote de l'EASA explique que l'agence européenne a travaillé avec des pilotes, des personnels navigants et des psychologues afin de mettre le problème en lumière et lui chercher des solutions, tant individuelles que collectives. Tout particulièrement depuis le début de la pandémie.