De soixante à quatre-vingt-dix jours: c'est le temps qu'il faut, en moyenne et selon les régions, pour finaliser une transaction immobilière en France. Ce délai particulièrement long n'est guère plus bas ailleurs dans le monde. Il est de soixante jours aux États-Unis, quatre-vingt au Japon, huit à dix semaines en Angleterre... Pas terrible à l'heure où tout s'achète et tout se vend en un clic sur internet.
Sans compter que dans 90% des cas, il faut que l'acquéreur obtienne un crédit de sa banque pour pouvoir mener l'opération à son terme. Rien n'est donc gagné lors de la signature de la promesse de vente. Et pour ne rien arranger, l'immobilier est un véritable mille-feuille administratif nécessitant la production et l'archivage d'un grand nombre de documents, ainsi que l'intervention de plusieurs intermédiaires, agent·es immobiliers, expert·es, notaires, assurrances, etc.
Acheter un appartement ou une maison relève donc toujours du parcours du combattant avec, en prime, une grande part d'incertitude tout au long du processus. Les acteurs de l'immobilier ressemblent à de vieux dinosaures, évoluant dans un Jurassique de la vente de biens. Bonne nouvelle: tout pourrait changer radicalement grâce à la blockchain, avec de nombreux avantages à la clé. Et ce, dans très peu de temps.
Tokenisaton
Inventée en 2008, le blokchain est une technologie de stockage et de transmission d'informations, qui fonctionne de manière décentralisée, sans organe central de contrôle. Cette structure particulière lui assure un haut niveau de protection des données, chaque personne pouvant par ailleurs vérifier la validité de la chaîne.
Pour vendre ou acheter via la blockchain, rien de plus simple. De la même manière qu'une entreprise est divisée en actions lors de sa capitalisation boursière, un bien immobilier est divisé en jetons numériques, appelés «tokens», et proposé sur un marché secondaire digitalisé. Il est ainsi possible d'acquérir un lot dans sa totalité ou simplement en partie.
La blockchain semble particulièrement adaptée aux problématiques du marché de l'immobilier, dans le sens ou elle garantit la sécurisation et la traçabilité des échanges, ainsi que leur inviolabilité. Elle fonctionne à tous les étages du mille-feuille immobilier, prenant en charge l'ensemble des opérations, et ce d'une façon 100% fiable. Un véritable changement de paradigme.
Premières transactions
Le 1er mars 2019 est un jour qui restera certainement dans les manuels d'histoire: en Suisse, un immeuble composé de dix-huit appartements et d'un restaurant a été tokénisé avant d’être vendu en quatre lots. L'opération a été menée par Elea labs, une start-up spécialisée dans la blockchain, Blockimmo, une plateforme de transaction immobilière en ligne, et Swiss crypto tokens, principal acteur helvétique du marché des cryptomonnaies.
Le mois suivant, la start-up Propy, une plateforme immobilière dévolue à la blockchain, a acté la cession de deux terrains situés à Niseko, sur l'île japonaise d'Hokkaidō, tokénisés puis vendus en yens à des investisseurs hongkongais.
En juillet, c'est le Brésil qui finalisait sa première vente immobilière blockchain. Le géant du BTP Cyrela s'est associé à la start-up Growth Tech pour acquérir un immeuble via la blockchain IBM, dans le cadre du projet Notary ledgers, qui permet de bénéficier des services digitalisés d'un·e notaire. L'acquistion s'est faite en vingt minutes, alors qu'il faut généralement compter un mois.
Selon Hugo Pierre, fondateur de Growth tech, l'opération présente exactement le même niveau de garantie qu'une vente classique. «Un document signé numériquement sur notre plateforme aura la même validité qu'un document signé manuellement en personne chez un notaire, car les transactions sont également validées par le réseau de notaires», explique-t-il. Aucune crainte à avoir sur l'authenticité de l'acquisition et son enregistrement en bonne et due forme.
La France n'est pas en reste. Le même mois, la plateforme Equisafe, spécialisée dans le financement digital, a vendu l'hôtel particulier AnnA, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), pour 6,5 millions d'euros. L'opération a été attestée par acte notarié, et n'a pris en tout que trente-et-une petites minutes.
Multiples avantages
Toutes ces transactions pointent dans la même direction: des processsus fortement accélérés, entièrement sécurisés et fluidifiés et qui atomisent la complexité administrative.
L'immédiateté est de mise. Les jetons sont cédés dès lors qu'ils sont inscrits dans le registre du propriétaire: plus aucune attente. Pour autant, la blockchain ne permet pas seulement de vendre et d'acheter plus vite. Elle simplfie également les démarches, augmente la transparence, sécurise les informations échangées, réduit le nombre d'intervenant·es, fait baisser les coûts. Tout est plus simple, plus rapide et moins cher.
De plus, l'achat et la vente peuvent désormais s'inscire, grâce à la dématérialisation, dans le cadre d'un marché mondial et plus seulement local ou national. N'importe quel acheteur, professionnel ou particulier, peut acquérir des jetons, même à l'autre bout du monde, ce qui ouvre très largement le champ des investisseurs potentiels et apporte du dynamisme au marché.
Changement de législation
En France, l'immobilier version blockchain n'attendait qu'un cadre réglementaire pour prendre son élan. Ce fut chose faite le 24 décembre 2018 avec un décret autorisant le nantissement de titres financiers portant sur des jetons.
De même, le Code monétaire et financier reconnaît aujourd'hui qu'un jeton est un «bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien».
Tout est en place pour que la blockchain tokénise en profondeur le marché immobilier français, bien que plusieurs freins restent encore à lever. La sécurisation des données personnelles, la fiscalisation des jetons, et la mise au point d'un droit applicable à ce type de transactions sont nécessaires pour qu'un cap puisse être franchi.
Mais tout peut potentiellement aller très vite. Le Royaume-Uni, l'Estonie, la Suède, le Japon, la Suisse, le Brésil avancent rapidement sur ces questions. Aux États-Unis, le premier «cadastre blockchain» a même vu le jour cette année.
La tokenisation représente une étape majeur dans la digitalisation d'un secteur qui a longtemps rechigné à adopter le numérique mais qui a fini par s'y résoudre, sous l'impulsion de la «Protech».
Ces jeunes pousses ambitionnent de renvoyer les agences au paléolithique –et sont peut-être plus proches de leur objectif qu'on ne le croit. En supprimant l'intermédiation, la blockchain pourrait tout simplement les faire disparaître, tout en faisant rentrer pleinement l'immobilier dans l'ère numérique. Il est temps.