Un Français vous affirmera qu'un Rafale a déjà battu un F-22 en dogfight. Un Russe répondra que le Sukhoï Su-57 fera bientôt un grand-père des airs du chasseur de Lockheed Martin. S'il n'admettra pas un prétendu plagiat, un Chinois rétorquera que le Chengdu J-20 pourrait donner bien du fil à retordre à la star de l'US Air Force.
Et pourtant, et pourtant: difficile de nier le fait que le Lockheed Martin F-22 soit, encore à ce jour et malgré de réelles limitations, le meilleur chasseur de son genre au monde. L'avion est d'ailleurs si précieux pour la domination aérienne américaine que le pays en a purement et simplement interdit l'export, même vers les pays les plus alliés.
C'est donc avec un certain étonnement que le monde de l'aéronautique militaire a accueilli la nouvelle de la mise à la retraite anticipée du F-22. Répondant à une journaliste de Military.com, Oriana Pawlyk, le général Charles Brown, patron de l'US Air Force, a annoncé son plan de réduire drastiquement le nombre d'aéronefs en service dans le corps d'armée dont il a la charge.
À terme, l'armée de l'air américaine serait dotée de «quatre plus un» avions. Au cas particulier du A-10 Warthog, fameux tueur de chars, s'ajouteraient selon Brown le désormais omniprésent mais toujours très mal-aimé F-35, pièce centrale du dispositif, le F-15EX, version modernisée du bon vieux F-15 ainsi que l'inusable F-16, qui lui aussi est régulièrement remis à niveau, mais dont les jours pourraient aussi être comptés.
Il manque à cette liste le quatrième aéronef. Qui ne sera pas le F-22: le général Brown souhaite que ce dernier passe le relais au plus tôt au chasseur de nouvelle génération que la défense américaine a, l'an passé, révélé avoir conçu et fait voler en quelques mois seulement, à la stupéfaction de la planète entière.
L'humain, cette option
C'est le très secret programme Next Generation Air Dominance (NGAD) qui prendra le relais, sans doute pas avant les années 2030, moment auquel le F-22 sera une plateforme quadragénaire. Dans deux interviews données à des magazines américains spécialisés et condensées par The Drive, le lieutenant-général Clinton Hinote a offert quelques détails supplémentaires sur le programme.
L'aéronef ayant volé l'an passé pourrait n'être que l'ébauche d'un projet plus large. Un second démonstrateur serait d'ailleurs déjà dans les tuyaux. Il s'appuie sur le concept des Digital Century Series, des appareils conçus et testés rapidement grâce à la puissance des outils informatiques actuels.
Selon Hinote, le programme NGAD ne serait pas l'affaire d'un appareil seul mais d'un système, voire d'un système de systèmes. Il pourrait comprendre un tout nouvel appareil piloté par un être humain, un ou des drônes de nouvelle génération, voire un avion «mixte», dont le pilotage humain serait optionnel.
Bref, l'Air Force est en train d'explorer toutes les combinaisons et panachages possibles. C'est une constante dans les armées du monde entier, notamment en Europe avec le SCAF: l'intelligence artificielle, récemment testée in vivo avec le premier vol de Skyborg, devrait disposer d'une place centrale dans le dispositif.
Selon Hinote, et malgré ces définitions et périmètres encore changeants, le programme avance bien. Il le faut: le lieutenant-général reconnaît que le F-22, tout excellent qu'il soit, pourrait rapidement révéler ses limites dans certains scénarios.
Il s'appuie sur l'exemple d'une invasion de Taïwan par la Chine au milieu des années 2030. Le J-20 chinois et des missiles de nouvelle génération pourraient mettre à l'amende un F-22 vieillissant, à la portée plutôt faible et à la capacité d'emport d'armements limitée. Un défaut qu'il partage avec le F-35 et qui l'handicaperait lourdement. Dans ses interviews, Hinote note que le F-22 pourrait bénéficier d'une remise à niveau pour s'assurer de pouvoir faire face à ces nouvelles menaces en cas de retard du NGAD.
Il est probable que le lieutenant-général, dans la presse, grossisse quelque peu les traits et agite le désormais traditionnel épouvantail chinois, afin de faire passer un message aux Congressmen américains: pour cette hypothétique modernisation comme pour le plus concret NGAD, l'Air Force va de nouveau avoir besoin d'argent. De beaucoup d'argent.