Pavel Dourov est bien moins célèbre que Mark Zuckerberg ou Jack Dorsey. Le patron russe de Telegram, une application de messagerie cryptée, vient pourtant de réaliser un remarquable exploit: faire plier Roskomnadzor, le service fédéral de télécommunications –et de censure– chapeauté par le Kremlin.
Après deux ans d'interdiction, la Russie a finalement décidé le 18 juin d'abandonner ses efforts pour bannir la messagerie. Selon le Washington Post, celle-ci compte environ 30 millions d'utilisateurs et d'utilisatrices dans le pays, soit près d'un cinquième de la population russe.
Telegram a été officiellement bloquée par la justice en 2018 après avoir refusé de collaborer avec les services de l'antiterrorisme russe en ne leur partageant pas ses clés de chiffrage.
La réputation sulfureuse de Telegram ne se limite pas à la Russie, en particulier du fait de son utilisation par les membres de milices d'extrême droite et surtout de l'organisation État islamique.
Cela lui a valu le surnom de «messagerie préférée des djihadistes», mais l'app est loin de se résumer à ces gros titres: elle est aussi un espace où s'organisent, de manière sécurisée, beaucoup d'opposant·es au gouvernement de Vladimir Poutine.
Jeu de cache-cache
Malgré l'interdiction, Roskomnadzor n'est jamais parvenu à empêcher les Russes d'utiliser l'application. Afin d'échapper à la censure, Telegram redirige son trafic via des serveurs américains du cloud, comme AWS d'Amazon ou ceux appartenant à Google.
Or, des centaines d'entreprises russes font la même chose. Résultat: en bloquant des millions d'adresses IP, Roskomnadzor a occasioné des perturbations sur des sites n'ayant rien à voir avec Telegram, dont des banques, des boutiques en ligne, et même Facebook et Twitter.
Cela fait des années que Dourov est dans le viseur du Kremlin. Il a créé en 2006 VKontakte, un réseau social ressemblant à Facebook, qui a refusé de supprimer des pages de responsables politiques de l'opposition en 2011 ou, l'année suivante, des groupes où s'organisaient des manifestations anti-Poutine.
En 2018, Telegram avait fini par assouplir ses positions sur la vie privée en acceptant de communiquer les numéros de téléphone et adresses IP de ses utilisateurs et utilisatrices soupçonnées de terrorisme. Mais Dourov avait précisé qu'en raison du blocage de son app, ces nouvelles normes ne s'appliquaient pas à la Russie.
L'interdiction a été levée après que Dourov a affirmé avoir amélioré la détection et la suppression des «contenus extrémistes» sur sa plateforme, ce que Roskomnadzor a salué.
En réalité, la messagerie est restée accessible durant tout ce temps, à tel point qu'Alexey Volin, le ministre des Communications, a récemment avoué l'avoir utilisée ces deux dernières années.