Si la thermodynamique est régie par des principes, et non par des lois, c'est parce que ces trois (ou cinq) piliers de la discipline n'ont jamais été démontrés. D'ailleurs, le deuxième principe de la thermodynamique –également connu sous le nom de principe de Carnot–, qui établit l'irréversibilité de certains phénomènes physiques, est secoué depuis bien longtemps par une expérience permettant en partie de le contester, sans pour autant le remettre totalement en cause. Son nom: le démon de Maxwell.
Cette expérience de pensée, fruit de la réflexion du physicien et mathématicien écossais James Clerk Maxwell, a fait sa première apparition en 1871, quatre ans après avoir germé dans la tête de son créateur. Elle entend indiquer que le principe de Carnot n'est vrai que de manière statistique. Il convient de rappeler que ce principe, qui introduit la notion d'entropie, explique notamment que sans apport d'énergie, les transferts thermiques sont irréversibles. Et que l'entropie (donc le désordre) est une fonction croissante.
C'est là que débarque la théorie de Maxwell, inventeur d'un «démon» capable d'interagir avec des particules microscopiques. Et, ainsi, de contredire ce qu'affirme la thermodynamique, c'est-à-dire que la chaleur se déplace systématiquement des régions chaudes vers les régions froides, sans espoir de retour.
Le démon en question serait capable de changer cela, mais jusqu'ici, c'était avant tout une vue de l'esprit –mais une vue de l'esprit suffisamment crédible pour être prise en compte, sinon quiconque souhaiterait contester un principe n'aurait qu'à inventer une créature capable de le contredire.
Dans l'expérience de Maxwell, il y a deux boîtes, contenant toutes les deux le même gaz, stocké partout à la même température. Les molécules de gaz se déplacent entre les deux compartiments à différentes vitesses, selon une répartition spécifique. Mais c'est alors qu'un petit (ou un gros) démon, placé à la frontière entre les deux compartiments, décide de trier les molécules selon leur vitesse.
Il se produit la chose suivante: dans un compartiment, on finira par trouver en moyenne davantage de molécules rapides, correspondant à une température plus élevée, tandis que dans l'autre, il y aura globalement des molécules plus lentes, à une température plus basse. Le démon aurait ainsi créé deux régions de températures différentes... et la chaleur circulerait alors du chaud vers le froid.
Sur le papier, ce processus imaginé par Maxwell permet de faire reculer l'entropie sans dépense d'énergie. Un paradoxe régulièrement repris et amélioré par différents physiciens, notamment à partir de la fin des années 1920. De nos jours, il continue d'interroger, car si la méthode trouvée par Maxwell ne souffre apparemment d'aucune contestation, elle ne suffit vraisemblablement pas à faire vaciller le deuxième principe de la thermodynamique.
Le démon à Lyon
Wired est allé interroger Antoine Naert, maître de conférences à l'École nationale supérieure (ENS) de Lyon, dont l'équipe vient de recréer les conditions permettant de matérialiser l'expérience du démon de Maxwell en laboratoire.
Le dispositif consiste en un container de verre insonorisé, placé sur une plateforme vibrante permettant d'agiter trois-cents perles d'acier, à la façon de ce que Wired compare à une «maraca silencieuse» (oui, maraca est le singulier de maracas).
L'objectif de l'équipe d'Antoine Naert est de donner corps au principe purement intellectuel énoncé par James Clerk Maxwell. Une façon d'entrer à l'intérieur du deuxième principe de la thermodynamique comme d'autres perceraient un coffre-fort, tout cela en fabriquant le démon imaginé il y a cent-cinquante-cinq ans.
Et si tout cela est aussi fascinant, explique le scientifique, c'est parce qu'en quelque sorte, ce principe de Carnot nous dit aussi que le temps ne passe que dans un sens, du passé vers le présent. Le remettre en cause, c'est aussi toucher un peu à l'irréversibilité chronologique.
Dans un monde ordinaire, le fait que des millions de particules se rangent naturellement par vitesse de déplacement relève de l'impossible, de l'aberration statistique. Ce qu'entendait suggérer Maxwell, et ce que l'équipe d'Antoine Naert tente actuellement de matérialiser, c'est que puisque ça n'est pas tout à fait impossible, alors le deuxième principe de la thermodynamique peut être contredit de façon statistique.