On peut être la nation la plus riche au monde et l'une des plus avancées techniquement, et frôler un effondrement énergétique comme on n'en imaginerait que dans des pays bien moins lotis. On se souvient ainsi comment, en février 2021, le puissant Texas avait été plongé dans le noir et le froid alors que son réseau électrique s'effondrait avec l'arrivée une vague de froid intense.
La rebelote a failli être bien plus violente encore fin décembre, lors de la tempête Elliott, vortex polaire surnommé le «blizzard du siècle» et qui a essuyé une bonne partie des États-Unis. Comme nous l'apprend Bloomberg, le pays a frôlé le désastre énergétique et, par effet domino, l'effondrement de sa grille électrique.
Du Maine à l'Oklahoma, de la Floride aux Grandes Plaines, ce sont ainsi 65 millions de personnes au total qui ont failli, comme les Texans en 2021, se retrouver bien démunis lorsque la bise fut venue. Cataclysmique, celle-ci fit plus de 60 morts sur l'ensemble du territoire, et ce sans effondrement complet des infrastructures électriques. Et heureusement, car dans des conditions climatiques aussi extrêmes, on peine à imaginer ce qu'aurait provoqué une coupure si générale.
Le phénomène est un rappel parfait de la manière dont les États-Unis et leur marché électrique sont organisés, ou plutôt désorganisé, avec des opérateurs très éclatés et en concurrence, et de multiples grilles vaguement connectées dans de plus grands ensemble. En l'occurrence, c'est au sein de l'«Eastern Interconnection», l'une des deux réseaux majeurs de courant alternatif du pays, que tout s'est joué –à pas grand-chose.
Effet domino (électrique)
Le premier domino à s'effondrer a été la Caroline du Nord et l'opérateur Duke Energy. Alors que le blizzard battait déjà son plein, ce dernier a dû se résoudre à imposer des black-outs partiels à sa clientèle le soir de Noël, sa capacité à générer de l'électricité ne pouvant faire face à une demande en logique hausse.
Ce sont ainsi 500.000 foyers et entreprises qui, le 24 décembre, ont vu leur électricité coupée, parfois pour des durées beaucoup plus importantes que les quelques dizaines de minutes prévues et annoncées –quand les pannes l'avaient été, ce qui n'a semble-t-il pas toujours été le cas.
«La conjuguaison de températures plus basses ce que qui avait été annoncé, d'une consommation plus élevée que ce qui avait été projeté, des réductions dans notre capacité de production d'électricité et des options limitées pour en trouver en dehors de notre système du fait d'un froid extrême qui a touché la moitié est des États-Unis a eu pour résultat de nous contraindre à procéder à ces coupures», a détaillé le porte-parole de Duke Energy, Jeff Brooks, comme le rapporte le Nebraska Examiner.
«Nous avons pris cette décision difficile afin de protéger le réseau électrique et la fiabilité de notre système, et pour éviter des coupures potentiellement plus larges et plus longues.» La Caroline du Nord et Duke Energy, en procédant à ces «rolling blackouts», ont donc d'une certaine manière évité le pire au reste du pays, qui n'était de toute façon pas beaucoup mieux loti.
D'autres fournisseurs ont en effet dû avoir recours aux mêmes solutions, comme la Tennessee Valley Authority. Surtout, l'opérateur géant PJM a sué à grosses gouttes en surveillant la situation en Caroline du Nord. «Si cela ne fonctionne pas, la stabilité de l'Eastern Interconnection est en danger», a ainsi expliqué Sam Holeman, vice-président de Duke Energy, lors d'une audition réclamée par le gouverneur de l'État.
Car PJM a également connu quelques gros soucis. Certain d'avoir les reins suffisamment solides, avec une capacité totale de génération électrique amplement supérieure aux besoins de sa clientèle –du moins en temps normal–, PJM a mésestimé de 7 gigawatts le pic de demande: comme Duke Energy, PJM a vu nombre de ses usines et systèmes tomber en panne du fait d'une météo exceptionnellement dure, jusqu'à perdre 31 gigawatts de capacité. L'entreprise a donc dû se résoudre à demander aux 65 millions d'Américains qu'elle alimente de mettre sérieusement le holà sur leur consommation.
En effet, sa production étant finalement des plus limitées, PJM n'a pu fournir à Duke Energy les surplus habituels sur lesquels cette dernière comptait pour trouver l'équilibre: c'est en coupant ses exports d'électricité hors de sa grille que PJM a évité l'effet domino et l'effondrement total du système.
L'une des raisons de ce quasi fiasco, explique Pat Wood, un expert interrogé par Bloomberg, a été l'électrification trop rapide du chauffage d'une partie des foyers américains, en particulier dans la «Sunbelt». Rien à voir, donc, avec d'éventuelles fluctuations de la capacité de production d'énergies renouvelables, bien au contraire: plus à l'ouest, les turbines fonctionnaient à plein régime et les prix de l'électricité qu'elles généraient s'est effondré, jusqu'à passer en négatif.
«Cela signifie qu'il n'y avait pas suffisamment de capacité de transmission pour faire passer cette grande quantité d'électricité là où elle était en demande», écrit le Nebraska Examiner. Tout simplement.