Infinie comme le soleil auquel elle emprunte sa mécanique atomique, quasiment propre et presque sans danger, la fusion nucléaire est, à l'inverse de la plus problématique fission, un graal énergétique à même de remplacer toutes les autres sources dont nous disposons –à commencer par l'or noir que représente le pétrole.
La fusion nourrit l'espoir d'un avenir plus vert à la faveur duquel trente-cinq nations ont mis leurs compétences et leurs fortunes en commun –le programme qui en est issu a coûté plus de 19 milliards d'euros. Une somme mise au service de la construction du réacteur ITER, une énorme installation située à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Ce tokamak est le plus gros projet scientifique mondial actuel.
Aussi impressionnant soit-il, ITER avance à son rythme de projet international. Il remplit davantage le rôle d'une preuve de concept que d'un projet à visée commerciale. De plus petites entreprises tentent de leur côté d'accélérer la cadence pour bâtir, dès demain ou presque, des premiers prototypes de réacteurs fonctionnels, beaucoup plus petits et abordables qu'ITER.
SpaceX de la fusion
«C'est un peu le moment SpaceX de la fusion», explique au Wall Street Journal Christofer Mowry, à la tête de General Fusion, une start-up basée à Vancouver au Canada.
Comme SpaceX l'a fait avec la NASA, les jeunes pousses privées de la fusion fleurissent sur les savoirs acquis par ITER, embauchent certain·es de ses scientifiques et, surtout, bénéficient des dernières grandes avancées et découvertes en matière de modélisation informatique, de matériaux supraconducteurs ou ultra résistants à la chaleur, d'impression 3D ou d'ingénierie de précision.
L'entreprise britannique First Light qui, curieusement, base ses recherches sur l'énergie folle créée par l'implosion des bulles utilisées par la crevette-pistolet pour étourdir ses proies, a levé 30 millions d'euros pour tester ses modèles mathématiques dans des conditions réelles. Si tout se vérifie, un prototype de générateur pourrait être mis en route dès 2025. Malgré les doutes exprimés par Bernard Bigot, à la tête d'ITER, à propos d'une célérité aussi rapide, d'autres start-ups avancent la même date pour le rendu de leurs propres projets.
Au sein de la Fusion Industry Association, elles sont vingt-et-un au total à avoir levé près de 1,4 milliard d'euros ces cinq dernières années auprès de divers fonds ou personnes privées –Bill Gates ou Jeff Bezos y sont allés de leurs billets– conscientes qu'un éventuel retour sur investissement ne sera envisageable qu'à long terme.
C'est «presque de la philanthropie», explique Steven Cowley, directeur du Princeton Plasma Physics Laboratory, pionnier dans le champ de recherche. «Les investisseurs veulent faire partie d'un projet qui va changer le monde».
La question n'est désormais plus de savoir si une telle réalisation est de l'ordre du possible, mais à quel moment elle le deviendra, compte tenu que les derniers obstacles technologiques ne sont plus insurmontables. La course à la commercialisation a d'ailleurs déjà commencé. «S'ils réussissent, nous les applaudirons», explique Tim Luce, en charge de la recherche scientifique à ITER.