Les histoires de tambour mènent à tout, y compris à la réalité virtuelle, l'acoustique architecturale ou la criminalistique audio. | Piqsels
Les histoires de tambour mènent à tout, y compris à la réalité virtuelle, l'acoustique architecturale ou la criminalistique audio. | Piqsels

On ne peut pas «entendre» la forme d'un tambour, mais il reste tant de dimensions à explorer

Pourquoi ne pas s'intéresser à des donuts en 16D?

«Peut-on entendre la forme d'un tambour?» n'est pas une devinette inventée par Coluche, mais bel et bien le titre d'un article scientifique publié en 1966 par Mark Kac. Le mathématicien américano-polonais, explique Scientific American, s'y posait la question suivante: si vous entendiez quelqu'un jouer du tambour, et à supposer que vous connaissiez les fréquences correspondant aux sons perçus, seriez-vous capable de déterminer l'exacte forme de l'instrument qui a servi à les produire? Ou, au contraire, existe-t-il plus d'un tambour capable de donner les sons en question?

Traiter un tel problème relève en fait de la géométrie spectrale, et plus précisément d'un travail sur l'isospectralité. En 1968, ses recherches ont valu à Mark Kac le prestigieux prix Chauvenet, décerné par la Mathematical Association of America. Les travaux du mathématicien ont fait date, puisqu'ils ont inspiré d'autres scientifiques, qui ont soulevé des questions similaires à propos d'autres formes et surfaces.

Mais le questionnement lié aux tambours ne s'arrête pas là: en 1991, une équipe américaine composée de Carolyn Gordon, David L. Webb et Scott Wolpert est parvenue à démontrer que non, les sons perçus ne permettent pas de déterminer à coup sûr le tambour de départ: à une même gamme de fréquences peuvent correspondre plusieurs instruments.

Plus d'un âne s'appelle-t-il Martin?

L'unicité existe pour certaines formes comme les triangles, les parallélogrammes, ou encore les cônes tronqués –imaginez un cornet de glace dont vous auriez préalablement cisaillé une partie plus ou moins importante de la pointe chocolatée. La question de la relation entre une forme et son ensemble de fréquences (ou de valeurs propres, dirait-on en maths) «est loin d'être close, d'un point de vue théorique et sur le plan des perspectives pratiques», comme on pouvait le lire dans un rapport datant de 2018.

Il faut dire que les recherches menées ont tout simplement permis aux scientifiques de réaliser que les problématiques posées étaient liées à un domaine fascinant: celui des dimensions supérieures. Et c'est notamment le travail de Julie Rowlett, mathématicienne américaine installée à Göteborg (Suède), qui permet actuellement de faire avancer les choses.

Dans un article pas encore publié, elle tente de faire le pont entre les espaces à trois dimensions et des espaces mathématiques un poil plus abstraits, car constitués de... seize dimensions. Pourquoi passer de trois à seize? Parce qu'apparemment, d'un point de vue mathématique, c'est plus simple à visualiser qu'un espace possédant, par exemple, quatorze ou quinze dimensions. Pour le commun des mortels peut-être pas, mais pour des scientifiques de la trempe de Julie Rowlett, c'est presque un jeu d'enfant.

Les recherches menées par la mathématicienne portent plus précisément sur les tores plats à seize dimensions. Dans un monde plat, un tore plat est «juste un cercle», explique-t-elle. Dans un univers à trois dimensions, cela devient une surface ressemblant de très près à celle d'un donut –mais juste la surface, pas l'intérieur. En seize dimensions, c'est légèrement plus difficile à visualiser –ceci est un euphémisme– mais cela n'a pas empêché le mathématicien John Milnor de prouver dès 1964 qu'on ne pouvait pas entendre la forme d'un tore plat de dimension 16.

Des applications insensées

Et les dimensions inférieures, alors? C'est là que Julie Rowlett et son équipe ont souhaité intervenir. Avec un objectif clair: il s'agit de démontrer qu'on ne peut entendre la forme d'un tore plat que dans un espace de dimension inférieure ou égale à 3. Autrement dit, dans n'importe quel monde ayant minimum quatre dimensions, le tore plat ne serait pas audible.

À sa grande surprise, l'équipe Rowlett a fini par réaliser qu'en 1990, un mathématicien allemand nommé Alexander Schiemann avait déjà formulé et démontré ce résultat, mais en présentant les choses bien différemment: pas d'isospectralité dans son raisonnement, ce qui rendait le résultat difficile à détecter. «L'article qui contenait la preuve mathématique ne mentionne même pas le mot “tore”», commente Julie Rowlett.

Ces résultats ont des applications concrètes, puisqu'ils sont indirectement exploitables dans des domaines tels que la réalité virtuelle, l'acoustique architecturale ou la criminalistique audio. À présent, souligne Scientific American, il est temps de s'intéresser à d'autres types de surfaces, et de tenter de déterminer des résultats similaires dans des univers ayant plus que trois dimensions.

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