Rien ne semble pouvoir éroder la marche triomphante de Facebook. L'année 2018, qui aura été celle de toutes les catastrophes pour la firme de Mark Zuckerberg, ne s'achève pas dans la douleur comme on aurait pu l'imaginer. La présentation des résultats financiers trimestriels de sa petite entreprise, le 30 janvier, lui a fourni une nouvelle occasion de faire état de sa réussite avec un bénéfice net en hausse de 61%, bien au-delà des attentes projetées par le géant, qui avait enregistré un ralentissement certain de son activité.
Aspirateurs à vies privées
Rien, donc, ne semble avoir prise sur le succès de Facebook, pas même les scandales à répétition qui frappent la société semaine après semaine depuis quelques temps. Le dernier en date pourrait tout de même faire tâche auprès de ses 2,32 milliards d'utilisateurs et d'utilisatrices. TechCrunch a ainsi révélé que la firme, plus ou moins bien dissimulée derrière diverses sociétés de beta-test et contournant les règles d'Apple en la matière, avait invité des adolescents à «vendre» l'intégralité des données contenues sur leurs smartphones, via l'installation d'une application nommée Facebook Research.
Messages privés, photos et vidéos, e-mails, historique des recherches en ligne, données de géolocalisation, voire historiques d’achats Amazon via des captures demandées aux utilisateurs et utilisatrices: toute, absolument toute la vie de ces ados était aspirée, contre la somme mensuelle de 20 dollars (environ 17,5 euros).
Quelques heures plus tard, patatras: le monde apprenait, bouche bée et les doigts crispés sur ses tweets enflammés, que Google utilisait peu ou prou les mêmes pratiques pour analyser le comportements des internautes et façonner sa stratégie et ses produits.
Mégasurprise? Pas vraiment: la data, son recueil et son analyse sont, on le sait, au cœur des destinées des GAFAM. Ces pratiques, quoique contestables –en particulier lorsqu'il s'agit de teenagers n'ayant pas forcément conscience de la valeur de leurs vies numériques, et dont les parents ignorent parfois jusqu'à l'existence de ces fuites–, ne sont pas tout à fait nouvelles. Au-delà de ces questions de forme, le fait d'acheter des données liées à la vie privée d'un individu est une action logique pour quiconque se revendique de l'idéologie libertarienne –un corpus philosophique très répandu dans la Silicon Valley.
Vendre ses données? Le cap est franchi
Pour se défendre, Facebook a ainsi affirmé à TechCrunch qu’«espionnage» n’était pas le terme approprié, puisque toutes les personnes concernées avaient été averties du programme, et qu’elles étaient payées pour y participer. L’entreprise affirme que «moins de 5% des participants étaient des adolescents, et que tous avaient une autorisation parentale».
La firme de Mark Z. estime que la rémunération proposée à ses cobayes justifie le fait de pouvoir leur aspirer toutes leurs données. Cet argument engage le réseau social sur une pente économiquement très glissante: c'est reconnaître à mot couvert que les données personnelles des internautes leur appartiennent, puisqu'il convient de les rémunérer pour pouvoir les exploiter.
Cette notion –chacun possède ses propres données– pourraît être très, très défavorable au business model des GAFAM, dont une partie de l'activité repose justement sur le brassage, l'analyse, l'exploitation et la revente de la data personnelle. Si l’on part de ce principe, alors le monnayage de ces données par Facebook, Google ou Amazon est hors-la-loi –ils vendent une «matière» qui ne leur appartient pas.
De cette hypothèse découlent principalement deux visions, opposées. La première, défendue par les libertariens, pose que si chacune et chacun est propriétaire de ses données, les internautes devraient pouvoir les vendre et jouir des bénéfices de leur exploitation –ou, a minima, avoir la possbilité de refuser de les fournir. Facebook se verrait contraint, dans ce cas-à, de rémunérer ses deux milliards d’utilisateurs et d'usagères –un cap que la firme vient de franchir, mais de manière trouble, en passant par des adolescentes et des adolescents «espionnés» par Facebook Research.
L’alternative, défendue en France par la Quadrature du Net, est plus radicale encore, puisqu’elle rejette en bloc le système de «commerce illégal de nos données personnelles [...] incité par le modèle de la publicité ciblée qui a besoin de nous connaître pour nous faire consommer davantage» et prône l’idéal d’un internet libertaire, sans surveillance, ni trackers, ni publicité. Un modèle qui ferait mettre à Facebook la clé sous la porte.