Sergey Brin et Larry Page s'enfuient-ils d'un navire à la dérive ou laissent-ils les reines d'une entreprise florissante au bon moment? Les deux fondateurs du mastodonte du numérique ont annoncé, le 4 décembre, quitter les reines de la holding Alphabet. «Nous sommes convaincus qu'il est temps d'assumer notre rôle de parents comblés: offrir à l'entreprise de l'amour et des conseils, mais éviter les tracasseries quotidiennes», expliquent-ils dans une lettre ouverte destinée aux employé·es de l'entreprise.
Si les deux hommes font preuve d'un optimisme certain sur le futur de Google, ce n'est pas le cas de nombre d'employé·es. Depuis le mois d'octobre 2018, la société fait face au ressentiment de personnes qu'elle emploie à travers le monde contre un certain nombre d'affaires: accusations de harcèlement sexuels, inégalités des genres au sein de l'entreprise, racisme ou contrats considérés comme dangereux avec l'armée américaine.
Google Workout for Real Change
En novembre 2018, des marches réunissant des milliers de personnes ont été organisées dans une cinquantaine de villes à travers le pays et ont réuni environ 20.000 manifestant·es qui ont travaillé pour Google. Une masse qui s'est depuis constituée en organisation: Google Workout for Real Change.
Meredith Whittaker était l'une des meneuses du mouvement. En juillet dernier, cette ancienne chercheuse en intelligence artificielle a été licenciée de l'entreprise et fait aujourd'hui partie des voix de Google Workout for Real Change. Aux côtés d'ancien·nes collègues –notamment appartenant au groupe connu sous le nom des «Thanksgiving Four» dont les membres ont été licencié·es juste avant la fête de Thanksgiving–, elle annonce aujourd'hui porter plainte auprès du National Labor Relations Board, l'organisme américain chargé d'enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail.
Meredith Whittaker et les membres de Google Workout for Real Change ne cessent de mettre la pression sur l'entreprise en enchaînant les prises de parole publiques. «Il est temps de tirer avantage de l'étroite fenêtre de tir que nous avons avant que les infrastructures techniques et l'intelligence artificielle soient si profondément ancrés dans nos institutions sociales qu'il sera impossible de tirer la sonnette d'alarme», affirmait-elle début novembre à la Science Week de Berlin.
«Énormes problèmes structurels»
La chercheuse ne parle pas d'un seul sujet de recherche faisant débat –comme ce fut le cas avec le Projet Maven– mais «d'énormes problèmes structurels» au sein de Google et de sa relation avec les données personnelles et l'intelligence artificielle. «Que vous utilisiez ou non Gmail, si vous marchez dans les rues d'une ville intelligente, vous êtes étiqueté, profilé et enregistré par des infrastructures de surveillance», affirme-t-elle.
Plus d'un an après le début du mouvement de contestation, les membres de Google Walkout for Real Change voient le départ des fondateurs comme s'ils «sautaient du bateau» au lieu «de le sauver du naufrage».
Meredith Whittaker considère que seul des mouvements sociaux pourront désormais sauver l'entreprise et permettre aux utilisateurs de s'engouffrer dans l'étroite fenêtre de tir à laquelle elle fait référence. «Le pouvoir ne bouge pas sous la force des arguments. À travers l'histoire, il est clair que les mouvements sociaux et les travailleurs organisés ont joué un rôle central dans le modelage de changements structurels. […] C'est la raison pour laquelle, après une décennie chez Google à réaliser des recherches sur les conséquences sociales de la technologie, j'ai rejoint mes collègues et j'ai débuté les actions coordonnées», a-t-elle déclaré.