La question des indemnisations peut se transformer en véritable prise de tête. | Ludovic Marin / POOL / AFP
La question des indemnisations peut se transformer en véritable prise de tête. | Ludovic Marin / POOL / AFP

Le gouvernement prépare un algorithme pour déterminer la valeur d'une victime

Par décret, le Premier ministre lance DataJust, un système automatisé chargé de calculer les préjudices.

Publié le 29 mars, le décret signé par le Premier ministre Édouard Philippe et la garde des Sceaux Nicole Belloubet autorise cette dernière «à mettre en œuvre, pour une durée de deux ans, un traitement automatisé de données à caractère personnel». L'objectif final est la mise en place du système algorithmique nommé «DataJust».

De quoi s'agit-il? Le site officiel du projet le décrit comme la construction d'un «référentiel d'indemnisation des préjudices corporels». En clair, un barème algorithmique destiné à automatiser et normaliser le calcul des sommes auxquelles les victimes peuvent prétendre en cas de litige.

Pour les assurances, les fonds d'indemnisation, les victimes ou la puissance publique, la question de la valeur d'une vie ou de la réparation d'un préjudice, corporel ou psychologique, est épineuse. Elle se situe au carrefour de facteurs humains et moraux, juridiques, médicaux, techniques, économiques et éthiques.

C'est souvent à la justice de se plonger dans ces savants et délicats calculs, parfois appuyée par des barèmes préexistants. Mais, par nature, la justice humaine n'est pas toujours égale, et des jurisprudences variables peuvent altérer l'égalité de traitement due aux victimes.

Ces disparités peuvent également compliquer les «politiques publiques en matière de responsabilité civile et administrative», pour reprendre les termes du décret. DataJust pourrait ainsi permettre au ministère de la Justice de mieux évaluer l'impact de ses décisions futures, en particulier dans l'optique du projet de réforme de la responsabilité civile et des responsabilités économiques.

Cette forme de justice prédictive, qui établirait de manière logicielle des barèmes fixes pour une multitudes de situations permettrait aussi, comme le note Village de la justice, de désengorger les tribunaux en favorisant les règlements transactionnels entre deux parties en conflit.

Opacité et timing malheureux

Techniquement, DataJust est un pur produit de la big data et de la science qui lui est associée. Un algorithme serait nourri des «décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires dans les seuls contentieux portant sur l'indemnisation des préjudices corporels».

En se basant sur quarante-et-un critères (âge, situation familale, type de dégât, situation professionnelle...), le logiciel aura ensuite la charge d'extraire les données pertinentes puis, avec un appui humain, de construire un «référentiel indicatif d'indemnisation».

Tout ceci est bel et bon –consultée, la CNIL n'a d'ailleurs pas bronché. L'utilisation d'algorithmes et de systèmes automatisés dans les processus juridiques n'est pourtant pas sans poser de sérieuses questions. La première est celle des biais: les exemples sont innombrables et, notamment parce qu'ils sont conçus à partir de données par des êtres humains eux-mêmes biaisés, les systèmes informatiques peuvent difficilement être considérés comme justes.

La seconde tient à la question des «boîtes noires»: intelligence artificielle et algorithmes peuvent se transformer en monstres complexes dont plus personne, pas même leurs créateurs ou leurs créatrices, ne peut comprendre le fonctionnement. Une opacité hautement problématique dès lors qu'il s'agit de consolider, auprès des juges comme des victimes, la légitimité d'une décision de justice.

La troisième est la question du timing malheureux du décret, publié en pleine pandémie de coronavirus et alors que de nombreuses plaintes sont déposées contre le gouvernement.

Interrogeant Me Hervé Gerbi, France Bleu Isère pose une question aux accents complotistes mais pas tout à fait anodine pour autant: «Le gouvernement aurait-il anticipé des centaines de recours juridiques des malades du Covid-19?» Selon Me Gerbi, DataJust –qui, c'est à noter, est loin d'être opérationnel– est le fruit d'un intense lobbying de la part des sociétés d'assurance.

«Demain, certains iront demander des comptes pour toutes les questions liées au Covid-19. S'ils aboutissent dans leur procédure, on leur dira ceci: “Décès d'un parent, 9.000 euros!”», déclare ainsi abruptement l'avocat, qui refuse qu'une machine se substitue au juge et conteste l'opacité et le timing de la mise en œuvre de DataJust.

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