La cuisine est politique. Ou au moins la cuisson. C'est ce qu'indique Wired dans un article consacré à la bataille qui a actuellement lieu aux États-Unis autour des cuisinières à gaz dont beaucoup d'entre nous se servent pour faire mijoter de merveilleux petits plats –ou pour se faire cuire des coquillettes.
Oui, une bataille. Le terme n'a rien d'exagéré. Le Texan Ronny Jackson, membre du Congrès, a par exemple tweeté ceci: «Si les fous de la Maison-Blanche viennent m'enlever ma gazinière, il leur faudra me passer sur le corps. VENEZ ET PRENEZ-LA!!»
La fameuse Démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, qui deviendra dans quelques années la 49e présidente du pays (vous l'aurez lu ici en premier), lui a demandé s'il savait qu'«une exposition prolongée au dioxyde d'azote des gazinières réduit les performances cognitives».
Dangereuses à plus d'un titre
Ce sont les émissions de gaz évoquées par l'élue qui créent actuellement un débat féroce. Depuis longtemps, la communauté scientifique pointe du doigt les ravages potentiels de ces fourneaux à gaz, qui pourraient avoir des effets néfastes sur la santé des individus qui les utilisent et sur l'environnement dans sa globalité.
«Ces cuisinières à gaz ne sont pas aussi propres que nous le pensions», résume Eric Lebel, cadre scientifique à l'institut PSE Health Energy, spécialisé en énergie, santé publique et environnement. L'expert insiste sur la double nuisance, individuelle et collective, que peuvent constituer les émissions de ces appareils. Entre autres constituants, celles-ci contiennent en effet du méthane, un gaz à effet de serre pour le moins dévastateur. Et le pire, c'est que les gazinières en émettent même quand elles sont à l'arrêt.
Lorsque les feux sont lancés, c'est alors la fête du dioxyde d'azote (NO2), réputé pour sa faculté à irriter le système respiratoire. Et pas qu'un peu: une étude américaine, publiée en décembre 2022, montre par exemple que 12,7% des cas d'asthme infantile répertoriés aux États-Unis peuvent être attribués aux émissions des cuisinières à gaz. Un chiffre qui rejoint les 12,3% avancés par une étude australienne en 2018.
Celle-ci soulevait un point intéressant: si les cuisines disposaient de systèmes de ventilation suffisants, le pourcentage ne serait plus que de 3,4%. Dans les émissions de gaz provenant de nos gazinières, on trouve aussi du benzène, un gaz cancérogène. Si votre cuisine n'est pas suffisamment aérée, explique Eric Lebel, l'utilisation devient alors aussi toxique que du tabagisme passif.
Bombes à retardement
C'est la récente déclaration de Richard Trumka Jr., de la US Consumer Product Safety Commission, qui a mis le feu aux poudres. Interrogé par Bloomberg, il a affirmé que les gazinières constituaient «un danger caché» et que toutes les solutions étaient envisageables, y compris une interdiction pure et simple de l'utilisation de nombreux modèles, au profit d'appareils plus récents et mieux conçus.
De Los Angeles à New York en passant par San Francisco et Seattle, des mesures ont déjà été prises à propos de la construction de nouveaux bâtiments, où le gaz a été purement et simplement banni. De son côté, Kathy Hochul, gouverneure de l'État de New York, envisage d'imposer le passage au tout-électrique sur tout son territoire.
Mais la population tient à ses cuisinières à gaz (30% à 35% de la population en possède une, aux États-Unis comme en Europe): elles sont notamment appréciées pour la précision avec laquelle on peut les régler, qui n'a rien à voir avec celle d'une plaque électrique. En outre, le passage à l'électrique serait coûteux: les factures d'électricité se sont elles aussi envolées, et le remplacement d'un ancien matériel jugé dangereux n'est clairement pas à la portée de toutes les bourses.
Pourtant, que Ronny Jackson le veuille ou non, il va peut-être falloir songer à nous séparer de nos cuisinières à gaz. «On crée littéralement des énergies fossiles à l'intérieur de notre domicile, ce qui va avoir des effets directs sur l'émission de gaz à effets de serre et sur notre santé», résume Eric Lebel.