Le 22 novembre 1987 à 21h, la chaîne de télévision WGN à Chicago diffuse un récapitulatif des événements sportifs du jour. Alors que le journaliste Dan Roan se félicite de la victoire des Chicago Bears, les téléspectateurs sont soudainement témoins de l'un des événements les plus mystérieux de l'histoire de la télévision.
L'écran devient noir, puis une personne portant un masque en silicone du personnage Max Headroom (le personnage d'une série américaine dans laquelle le monde est contrôlé par les chaînes de télévision qu'il est illégal d'éteindre), des lunettes de soleil, un costume et une cravate, apparaît à l'écran.
Max ne dit rien et danse sur place pendant une vingtaine de secondes. L'antenne repasse alors sans transition sur le plateau de Channel 9 où Roan, complètement désarçonné, déclare: «Si vous vous demandez ce qu'il vient de se passer, moi aussi.»
En régie, c'est la panique. Persuadés que le détournement de leur antenne vient de l'intérieur, les employés de WGN fouillent le bâtiment sans succès. Deux heures plus tard, lors de la diffusion d'un épisode de Dr Who sur la chaîne WTTW, toujours à Chicago, le pirate réapparaît.
Cette fois, le hacker masqué se met à parler. Il se moque d'un commentateur sportif, chantonne le générique d'un dessin animé puis s'exclame: «Je viens de créer un chef-d'œuvre géant pour les nerds du meilleur journal du monde», une référence à la chaîne WGN (World's Greatest Newspaper).
La vidéo le montre ensuite pantalon baissé, en train de se faire fesser par une tapette à mouches. Puis, sans transition, Dr Who reprend.
Les semaines suivantes, l'incident passionne la presse, la Commission fédérale des communications (FCC) et le FBI lancent une enquête. À l'époque, raconte Motherboard, qui a consacré une longue enquête à l'événement, le piratage des chaînes de télévision était pris très au sérieux.
Pour la beauté du geste
Le premier cas connu aux États-Unis remonte à l'année précédente, en 1986, lorsqu'un film sur HBO est interrompu par le message «$12.95/MONTH? NO WAY!» en protestation contre l'augmentation du tarif de l'abonnement à la chaîne. Les autorités, s'inquiétant d'une attaque de ce type menée par des personnes mal intentionnées, votent une loi rendant illégal le détournement de signal télé.
Si le coupable du hack d'HBO, un technicien satellite, a été rapidement identifié, à ce jour, personne n'a aucune idée de qui se cachait derrière le masque de Max Headroom.
Dans ces années, les studios de télévision envoyaient leur signal à un émetteur situé en hauteur, qui le redistribuait ensuite dans toute la ville. À Chicago, ces émetteurs se trouvaient en haut du John Hancock Building et de la Sears Tower.
Il est probable que, depuis un toit ou un appartement en hauteur, le hacker ait envoyé son propre signal micro-ondes à un émetteur à l'aide d'une parabole. Pour s'accaparer l'émetteur, il suffisait que son signal soit plus puissant que celui du studio de télévision.
Si le procédé est relativement simple, l'équipement nécessaire aurait coûté neuf autour de 10.000 dollars, estime Michael Marcus, l'employé de la FCC ayant enquêté sur l'affaire. Bien que ce matériel soit disponible d'occasion, c'est un prix élevé pour une simple plaisanterie.
Car là est l'originalité de l'histoire. Malgré un niveau de sophistication élevé qui lui a permis d'échapper à la justice, le hacker n'a pas profité de son temps d'antenne pour passer un message clair ou formuler une demande, et n'a jamais refait parler de lui depuis. Cela ne rend peut-être son acte que plus légendaire.