Dans un monde idéal, rien ne se perd et tout se transforme: les déchets des uns sont, pour les autres, une mine à exploiter. Secteur agroalimentaire, filière du bois, centres de tri, collectivités humaines comme les écoles, les restaurants ou les hôtels notamment laissent dans le sillage de leurs activités quotidiennes des trésors organiques ou industriels.
Les recycleurs, en quête de matériaux à valoriser, les énergéticiens devant alimenter leurs méthaniseurs ou les industriels cherchant à intégrer des produits secondaires à leurs chaînes sont friands de ces précieux rebuts.
Mais pour ces professionnels, se procurer des déchets pour les recycler ou faire du biogaz était, autrefois, un processus long et fastidieux. Il fallait appeler les entreprises une par une, effectuer de nombreux déplacements: cela prenait des mois, pour des résultats incertains.
La société iNex Circular propose désormais un outil qui automatise ce processus grâce aux mégadonnées (big data) et permet la visualisation des gisements de déchets sur une carte interactive.
Olivier Gambari, CEO d'iNex Circular, barbe épaisse et cheveux en bataille, nous reçoit dans ses locaux du 12e arrondissement de Paris. Le déménagement est récent et les cartons jonchent encore les bureaux.
Big data et prédiction
Né en 1978 à Clamart de parents fonctionnaires, il étudie à Paris Tech après un bac S et se spécialise dans les bases de données. Après un passage par les télécoms, il devient webdesigner indépendant puis crée deux entreprises, olive.fr et Olistik.
Je me suis dit: faisons plutôt du prédictif pour trouver les gisements de déchets grâce aux données. Devenons le Tinder des déchets.
À l'époque, iNex est un cabinet de conseil spécialisé en économie industrielle et circulaire. Son fondateur, Pascal Hardy, sollicite Olivier pour qu'il crée un outil informatique de gestion.
«Je me suis dit: faisons plutôt du prédictif pour trouver les gisements de déchets grâce aux données. Devenons le Tinder des déchets», raconte Olivier Gambari. Pascal Hardy lui cède ensuite l'essentiel de ses parts, ainsi qu'à Pierre Beuret, son associé.
L'entreprise investit 400.000 euros dans son propre outil. Elle reçoit ensuite le soutien de plusieurs investisseurs, des «accélérateurs» Antropia ESSEC et SAP.io, est sélectionnée par le programme U-Start de Veolia Allemagne, et remporte le premier prix du Social innovation tournament de la Banque européenne d'investissements en 2018.
Des entreprises opérant dans le même secteur d'activité, fabricant le même type de produits ont de fortes chances de produire le même type de déchets, avec bien sûr des variations.
Comment détecte-t-on les gisements de déchets? INex Circular s'appuie sur les principes de la récurrence: les mêmes causes produisent les mêmes effets. En statistiques, c'est le principe du clustering.
«Des entreprises opérant dans le même secteur d'activité, fabricant le même type de produits ont de fortes chances de produire le même type de déchets, avec bien sûr des variations», détaille-t-il.
Naturellement, le processus est beaucoup plus fin. INex collecte un maximum de données sur les entreprises, via l'INSEE et en «scrappant» leurs sites internet.
Certaines sont étudiées de façon très poussée: politique en matière de déchets, processus de production, quantités de déchets produits… Les données sont vérifiées auprès des entreprises elles-mêmes.
L'outil d'iNex Circular, en image. | iNex Circular
Enfin, des outils mathématiques et d'apprentissage automatique permettent de calculer les variations –notamment de production et de chiffre d'affaires– pour parvenir aux données réelles.
«Le taux d'erreur sur le fait de posséder ou non un déchet est quasi-nul, celui sur les quantités se situe entre 5 et 25%», précise le CEO.
Recycleurs et énergéticiens
iNex Circular travaille principalement avec deux acteurs: les recycleurs et les énergéticiens. Les premiers opèrent des unités de traitement, qu'ils cherchent à rentabiliser et mutualiser.
«Veolia utilise par exemple notre outil pour localiser des déchets verts afin de produire du compost, et pour proposer des prestations à des parcs d'activités qui produisent des déchets verts», détaille le fondateur.
Bien nommés, les énergéticiens utilisent les déchets pour produire de l'énergie, par exemple en fabriquant du biogaz. Ils représentent les trois quarts de l'activité d'INex Circular.
«Nous avons travaillé avec Veolia sur le sourcing pour une unité de méthanisation à Schönbeck en Allemagne et pour un projet de chaudière biomasse à Brunschweig. Nous collaborons aussi avec 2EI Veolia sur un projet de place de marché virtuelle pour les déchets», poursuit Olivier Gambari.
Un outil entièrement paramétrable
L'outil de cartographie d'iNex peut être paramétré avec beaucoup de finesse: entreprises produisant une certaine quantité minimum de déchets, certains types de déchets uniquement, emplacements des plateformes de compostage existantes, etc.
L'outil permet aussi de générer des «heat maps», des graphiques, et fournit tous les contacts des acteurs du secteur. «On remplace des mois d'enquête et d'études aux résultats incertains par ce système qui va s'enrichir et s'actualiser en permanence», résume Olivier Gambari.
Analyse fine et contacts utiles: iNex Circular offre aux industriels de précieux outils pour leurs recherches. | iNex Circular
Un exemple de la souplesse de son outil: pendant le confinement, iNex Circular l'a reparamétré gratuitement afin d'aider la CCI et l'ARS Grand Est à trouver des stocks d'éthanol et d'isopropanol, afin de produire du gel hydroalcoolique, un produit vital en temps de pandémie.
L'Amérique, l'Amérique
En plus de ses deux fondateurs, iNex Circular emploie actuellement quatre personnes. Entre août et décembre dernier, elle a généré 250.000 euros de chiffre d'affaires.
Comme Joe Dassin, notre prochain objectif c'est l'Amérique, où il y a un très gros potentiel de recyclage, mais où le marché est beaucoup moins organisé qu'en Europe.
Elle projetait initialement 500.000 euros de CA pour cette année et 1,2 million d'euros pour 2021, année où elle devrait atteindre l'équilibre financier. Ces chiffres pourraient toutefois être revus à la hausse.
«Comme Joe Dassin, notre prochain objectif c'est l'Amérique, où il y a un très gros potentiel de recyclage, mais où le marché est beaucoup moins organisé qu'en Europe. Nous travaillons avec une startup qui veut faire du compost pour la production de légumes de très haute qualité.» La ruée vers l'or vert ne fait que commencer.
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