Toutes les mélodies ont-elles déjà été composées? C'est en tout cas la thèse développée par plusieurs spécialistes de la musique, qui estiment que mathématiquement, les musiciens et musiciennes ont d'ores et déjà épuisé toutes les combinaisons. Il n'en existerait en effet que quelque 68,7 milliards, ce qui est relativement peu.
Ce raisonnement est cependant contestable (et contesté), notamment puisqu'il dépend de la définition du mot «mélodie». D'autres experts et expertes estiment en effet que le nombre de morceaux pouvant être composés n'est pas loin d'être infini. En outre, l'arrivée des intelligences artificielles (IA) dans le monde de la musique pourrait bien permettre de multiplier encore les possibilités. Et d'obtenir des sonorités absolument inédites.
Cumul d'influences
Dans le podcast Science, Quickly, qu'elle anime pour le site du magazine de vulgarisation scientifique Scientific American, Allison Parshall évoque ce sujet. Elle base son propos sur le morceau «Enter Demons and Gods», composé par le Thaïlandais Lamtharn Hantrakul, alias Yaboi Hanoi. L'impression que procure son écoute est une sorte d'«uncanny valley» (ou «vallée de l'étrange») auditive: on est en terrain familier, tout en ayant l'impression de ne jamais avoir entendu cela. Un sentiment étrange et perturbant.
Le morceau en question a été composé en une minute à peine, grâce à un assistant doté d'une intelligence artificielle. Au préalable, Lamtharn Hantrakul lui a fait avaler des heures et des heures de musique, provenant aussi bien d'Occident que d'Asie du Sud-Est. Le résultat, explique Allison Parshall, est assez représentatif de ce que les IA peuvent apporter en matière de musique: elles ne se contentent plus de compiler des influences, elles sont désormais capables de créer des tendances de toutes pièces.
Si «Enter Demons and Gods» a particulièrement intéressé la journaliste, c'est parce qu'en 2022, le compositeur thaïlandais l'a présentée à une compétition internationale de musique algorithmique, le AI Song Contest. Selon le musicien, c'est parce que son IA a idéalement mélangé les cultures occidentale et asiatique qu'il a pu l'emporter. Et si ce mix a été possible, c'est parce les algorithmes sont désormais assez puissants pour assimiler correctement les morceaux qu'on leur fait ingérer.
Et pour cause: une chanson, c'est en fait des millions de données à prendre en compte. Par exemple, «Stairway to Heaven» de Led Zeppelin, contient pas moins de 42 millions d'informations. Or, si les algorithmes d'hier étaient contraints de se contenter de la surface des choses, désormais, ils sont capables de tout prendre en compte.
S'éloigner de l'Occident
De surcroît, les ingénieurs ayant mené les travaux les plus pointus dans les domaines de la musique et de l'intelligence artificielle (dont Lamtharn Hantrakul peut se targuer de faire partie) ont développé un outil de machine learning permettant de retranscrire n'importe quelle mélodie afin qu'elle semble jouée par n'importe quel instrument. Tout cela sans repasser systématiquement par les bases qui caractérisent tout particulièrement la musique venue d'Occident, ce qui change tout.
Jusqu'ici, les algorithmes musicaux avaient des biais: ils avaient tendance à produire des morceaux très occidentaux dans l'âme, puisqu'ils considéraient que c'était l'origine par défaut. Mais le travail mené ces dernières années par des spécialistes venus d'autres continents aura permis de mondialiser les influences des IA. Nos oreilles occidentales mettront peut-être un peu de temps à s'y habituer, mais cela constitue une excellente nouvelle pour le futur de la musique.