En 2014, lors d'une soirée organisée à la prestigieuse université de St Andrews en Écosse, la princesse allemande Theodora Sayn-Wittgenstein, 27 ans, a bu plus que de raison. Son comportement est devenu imprévisible et elle fait des remarques homophobes à des membres de la sécurité, avant de lancer: «Je me faisais les ongles ce matin et je me demandais combien de musulmans je pourrais tuer.»
Si vous n'avez jamais entendu parler de cette histoire, c'est normal. Déjà, elle n'est pas très intéressante, mais surtout, cela fait des années que la princesse tente de la faire disparaître d'internet. Pour ce faire, ses avocats s'appuient sur une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur le droit à l'oubli.
Dans son rapport sur la transparence, Google partage des cas de demandes de droit à l'oubli, précisant la suite qui y a été donnée. Parmi eux, le site américain Motherboard a remarqué une entrée qui laissait peu de place au doute: «Nous avons reçu une demande de déréférencement de la part des avocats d'une famille noble allemande […] à propos d'articles de presse sur la plaignante, poursuivie après une nuit arrosée en Écosse.»
Le moteur de recherche indiquait que la demande visait 249 articles, et qu'il a accepté d'en déréférencer 197 en Allemagne. Google a depuis supprimé l'exemple, probablement trop facilement identifiable.
Liberté de la presse
Si Theodora Sayn-Wittgenstein importe assez peu, son affaire pose la question du recours au droit à l'oubli par des personnalités publiques.
Comme la CJUE l'a rappelé en 2019, ce droit ne doit pas empiéter sur la liberté de la presse. Or, en l'espèce, l'histoire était avérée, puisque les faits ont été admis devant un tribunal. Les URL déréférencées en Allemagne correspondaient ainsi à des articles de presse factuels concernant une personnalité publique.
En France, le conseil d'État a estimé que trois catégories de données personnelles étaient concernées par le droit à l'oubli: les données dites sensibles (sur la santé, la vie sexuelle, les opinions politiques, les convictions religieuses...), les données pénales (relatives à une procédure judiciaire ou à une condamnation) et les données touchant à la vie privée sans être sensibles.
Pour ces dernières, la juridiction ajoutait néanmoins qu'«il suffit qu'il existe un intérêt prépondérant du public à accéder à l'information en cause» pour pouvoir refuser de faire droit à une demande de déréférencement.
En 2019, un article de recherche écrit par des employé·es de Google relevait que depuis 2014, 65.933 URL avaient été supprimées à la demande de «politiciens et de membres de gouvernement» et 74.602 autres sur requête de célébrités.