Son et lumière: à chaque décollage de fusée, c'est une impression de chaos qui prédomine aux abords de la zone de lancement. Les bruits se font entendre à des kilomètres, et la terre vibre intensément sur un très large périmètre. Eh oui, comme le souligne Nature, la conquête spatiale est aussi synonyme de pollution sonore, un sujet trop rarement abordé.
Les premières victimes potentielles sont les animaux vivant aux alentours. Il est intéressant de se demander comment les différentes espèces, et particulièrement celles qui sont en danger d'extinction, supportent ce genre d'événement tapageur –d'autant que les lancements spatiaux sont de plus en plus fréquents, et qu'ils ont toujours lieu dans les mêmes régions du globe.
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Spécialiste de la faune et de l'écologie à l'université de Californie, Lucas Hall a travaillé sur le sujet avec Kent Gee, expert en acoustique physique de l'université Brigham-Young (Utah). Le résultat de leurs trois années de recherches vient d'être présenté, le 8 mai dernier, dans le cadre de la réunion annuelle de l'Acoustical Society of America, qui s'est déroulée à Chicago.
L'équipe menée par les deux scientifiques a concentré ses recherches sur la zone de Santa Barbara, en Californie, où se trouve la Vandenberg Space Force Base, base militaire dépendant de la Force spatiale des États-Unis. Pendant des années, on y lançait entre cinq et quinze fusées par an; mais avec l'irruption de sociétés comme SpaceX, qui multiplie comme des petits pains les mises en orbite de satellites, cette quantité ne cesse de grimper. En 2030, le nombre de lancements annuels pourrait être compris entre 50 et 100 –à titre de comparaison, 180 fusées ont été lancées en 2022 dans le monde entier.
Le seuil de douleur pulvérisé
Les défenseurs de la faune et de la biodiversité se souviennent avec émotion que le 20 avril 2023, le premier lancement de la fusée Starship de SpaceX a eu des conséquences particulièrement désastreuses sur l'écologie. La rampe de lancement située à Boca Chica, au Texas, a explosé, entraînant une pulvérisation de béton sur une large zone environnante, déclenchant un incendie dans une réserve naturelle. Les associations ont alors exigé des garanties environnementales de la part de la société d'Elon Musk: dans une région où vivent notamment des espèces menacées d'oiseaux et de tortues, la faune risque trop gros.
Au-delà de cet incident qui, on l'espère avec sans doute un peu de naïveté, restera probablement de l'ordre de l'exception, il y a tout lieu de s'inquiéter des conséquences «des sons, des chocs et des vibrations résultant de ces lancements», comme le résume Sharon Wilcox, représentante texane du groupe Defenders of Wildlife, basé à Washington DC.
Ce sont ces effets que Kent Gee a tenté de quantifier dans ses travaux. Il a par exemple établi que même à plusieurs kilomètres de la base de lancement de la mission Artemis I de la NASA vers la Lune, le niveau sonore était compris entre 127 et 136 décibels, soit bien au-dessus du seuil de la douleur (qui commence à 100 dB) indiqué dans les échelles officielles.
Les fréquences sonores ont également leur importance, car les animaux ne perçoivent pas tous les sons de la même manière que nous. À l'heure actuelle, «nous disposons de peu d'information sur la façon dont ils accueillent ces sons», indique Kent Gee. Mais les effets de la pollution sonore sur le stress et le comportement des animaux ont déjà été démontrés.
Les recherches menées par Lucas Hall et Kent Gee ne font que commencer. Les deux hommes ont une décennie de travail devant eux, au cours de laquelle ils comptent notamment observer, à l'aide de caméras, la façon dont les animaux réagissent à ces stimuli aussi violents qu'inattendus.