Sorti le 21 février sur les principales plateformes de jeux vidéo, Atomic Heart risque-t-il d'en être retiré dans les jours à venir? C'est en tout cas ce qu'aimerait le ministère ukrainien de la Transformation numérique, si l'on en croit le site Dev.ua, relayé par Ars Technica. Dans un communiqué, le vice-ministre Alex Bornyakov indique que le jeu «a des racines russes, et romantise l'idéologie communiste et l'Union soviétique».
Plus loin, Atomic Heart est décrit comme «toxique», «susceptible de collecter les données des utilisateurs», et contribuant à «mener une guerre contre l'Ukraine». À ce titre, le ministère demande l'interdiction totale du jeu en Ukraine, et appelle les autres pays à envisager une «distribution limitée» du jeu.
Le fait que le jeu soit financé par des entreprises et des banques russes, et que ses créateurs «n'aient jamais condamné publiquement le régime de Poutine» pèse également dans la balance, affirme Alex Bornyakov. Il faut noter que dès mars 2022, soit quelques jours après le début de la guerre menée contre l'Ukraine, l'industrie du jeu vidéo avait pris ses distances avec la Russie.
Le malaise Mundfish
Ars Technica s'est penché plus en détail sur les origines du jeu et sur le profil de la société qui l'a développé, Mundfish. Celle-ci affirme être basée à Chypre, même si une vidéo publiée il y a trois ans sur sa chaîne YouTube montre que ses bureaux sont (ou étaient) installés en Russie.
En outre, le PDG de Mundfish a travaillé comme créatif pour Mail.ru, ancien nom de VK Play, la plateforme qui diffuse le jeu en Russie –et qui est dirigée par Vladimir Kirienko, allié de Poutine et fils d'un ancien Premier ministre russe. En janvier, l'entreprise était d'ailleurs épinglée par la presse en raison de sa gestion possiblement douteuse des données des utilisateurs, qui pourraient bien être transmises à Moscou en toute illégalité.
Mundfish a fermement contesté ces allégations, et a d'ailleurs retiré de son site l'accès à la boutique russe permettant d'acheter le jeu. Cela n'efface pas le passé, dont par exemple l'organisation d'un tonitruant événement dédié à la presse russe et destiné à célébrer la sortie imminente du jeu. C'était en novembre 2022, et la décoration très URSS dans l'âme, avec des messages comme «Gloire aux ingénieurs soviétiques» ou «Camarades, rejoignez la société du futur» avait eu son petit effet sur les participants.
Ars Technica confirme que Mundfish, tout en essayant de conserver une image positive –son boss l'a récemment décrite sur Twitter comme étant «indéniablement une organisation en faveur de la paix et contre la violence»–, a toujours refusé de se mouiller davantage, affirmant ne pas avoir à «faire de commentaire politique ou religieux».
L'URSS au-dessus de tout
La seule personne ayant participé à l'élaboration du jeu et ayant osé prendre position, c'est Mick Gordon, compositeur de la musique. L'Australien, qui a travaillé sur des jeux tels que Doom ou Wolfenstein, a fait savoir qu'il allait reverser son cachet à la Croix-Rouge de son pays, laquelle avait lancé une campagne de dons en faveur de l'Ukraine. Gordon a également déclaré être «fier d'avoir eu l'opportunité de travailler avec l'équipe Mundfish», tout en insistant sur l'importance «de séparer les actions d'un gouvernement de celles des citoyens».
Pour ce qui est de son contenu, Atomic Heart consiste en une hagiographie de l'URSS, plaçant le régime soviétique au-dessus de tout. Se déroulant dans une réalité alternative, le jeu imagine un monde dans lequel l'Union soviétique produit les meilleurs robots, et facilite la vie et le travail de sa population.
Selon le journaliste d'Ars Technica, qui l'a testé pendant de longues heures, la suite est moins manichéenne que cela; en outre, il note que le développement du jeu a débuté en 2018, donc bien avant le début de l'invasion russe en Ukraine. Par conséquent, il semble difficile d'accuser Mundfish d'utiliser Atomic Heart pour glorifier la Russie aux dépens de son principal ennemi actuel.
Cela n'empêche évidemment pas chaque plateforme et chaque gamer potentiel de décider en son âme et conscience si un jeu à l'ADN si russe –des connexions avec Gazprom, le géant du gaz naturel, sont également avérées– mérite actuellement qu'on lui consacre du temps et de l'argent.