Appelez-le CrCoNi. Cet alliage de chrome, de cobalt et de nickel vient d'être officiellement désigné comme le matériau le plus dur jamais recensé sur Terre, après une série de mesures effectuées au sein des éminents laboratoires américains Lawrence Berkeley et Oak Ridge. Ce qui ne l'empêche pas d'être hautement malléable, précise d'entrée Interesting Engineering.
Autant dire qu'avec ses incroyables propriétés, CrCoNi n'a pas fini d'être exploré et exploité. Car «lorsque vous concevez des matériaux de structure, vous voulez qu'ils soient costauds, mais également qu'ils soient ductiles et incassables», peut-on lire dans la déclaration d'un ponte de la recherche sur les alliages.
CrCoNi plie mais ne rompt pas. Plus impressionnant, il repousse les limites de cette expression. Même les températures les plus basses ne lui font pas peur: au lieu de le fragiliser, elles le rendent encore plus résistant.
CrCoNi est un alliage à haute entropie (HEA), une classe de métaux dont les constituants sont présents à parts égales. Cela les différencie des alliages classiques, qui se composent généralement d'un élément dominant auquel d'autres sont ajoutés en quantité plus réduite. Tous se distinguent par leur robustesse et leur malléabilité, mais celui-ci a repoussé toutes les limites connues jusqu'ici.
Les chiffres sont vertigineux: à –424°F, soit environ –253°C, la résistance de ce matériau est 500 fois plus élevée que celle du silicone, 14 fois plus que celle de l'aluminium utilisé pour les avions de ligne et 5 fois plus que celle des aciers les plus costauds.
Patience est mère de sûreté
La structure de CrCoNi est fascinante. Robert Ritchie, qui a codirigé les recherches sur ce matériau au laboratoire Lawrence Berkeley, n'en revient toujours pas. «C'est amusant, parce que les métallurgistes disent que la structure d'un matériau définit ses propriétés... mais la structure de CrCoNi est la plus simple que vous puissiez imaginer: ce sont juste des grains.»
Seulement voilà, intervient Andrew Minor, partenaire de recherche de Robert Ritchie: cette structure d'apparence simplissime est capable de se métamorphoser lorsqu'on triture le matériau. «Quand vous le déformez, sa structure devient très complexe, ce qui explique qu'il soit exceptionnellement résistant lorsqu'on essaie de le briser.»
En raison de sa haute résistance, CrCoNi pourrait finir par être notamment utilisé dans l'espace, où sa capacité à tenir le choc face à des températures extrêmes constituerait un atout de premier ordre, dont l'aviation pourrait d'ailleurs également tirer profit.
Mais rien ne presse, comme l'explique Robert Ritchie: «Aimeriez-vous apprendre, quand vous êtes dans les airs, que ce qui vous empêche de chuter de 40.000 pieds est un alliage qui n'a été développé que quelques mois plus tôt? Ou préféreriez-vous que les matériaux soient connus de longue date et mieux compris?»
Parce qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, CrCoNi pourrait donc n'être utilisé que dans plusieurs années, voire des décennies, afin que sa structure et ses propriétés soient d'abord pleinement maîtrisées.