Avec sans doute plus de 10.000 hommes morts au combat lors du premier mois de guerre en Ukraine, les pertes humaines de l'armée russe sont dramatiques. Si dramatiques que, selon certains rapports, elle tente de masquer l'horreur avec l'aide du voisin et allié biélorusse.
Ce grand fauchage présente une caractéristique assez rare: il ne concerne pas que les troufions de base mais aussi les glorieux généraux et haut gradés russes, qui sont au nombre de cinq –peut-être six à en croire les autorités ukrainiennes– à avoir trouvé la mort depuis le début de la guerre.
Comme le note Foreign Policy, c'est du jamais-vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Et c'est un chiffre colossal: selon un diplomate, les renseignements occidentaux estiment à vingt le nombre de ces haut gradés engagés dans la guerre –un quart d'entre eux seraient donc ainsi déjà tombés, et les opérations sont loin d'être terminées.
Mais pourquoi, alors que l'on imagine généralement les généraux aux lourdes médailles se tenant éloignés des lignes de front et des zones de combats les plus intenses, comptant sur leur hiérarchie pour faire parvenir les ordres jusqu'au lieu du danger, ces médaillés russes tombent-ils comme à Gravelotte?
Il y a plusieurs explications à cela, répond Foreign Policy. L'une des principales causes de ces décès étoilés tient à l'impréparation technique de l'armée russe avant son invasion, en particulier dans le domaine des communications et de leur chiffrage.
Comme des mouches (mais en treillis)
Le cas ahurissant de Vitali Guerassimov, trahi par des communications en clair ayant permis aux renseignements ukrainiens de le localiser et de commander une frappe ciblée, ne semble pas être unique.
Les communications sont ainsi l'un des talons d'Achille de cette force de 200.000 hommes, constituée pour partie de conscrits aux qualités militaires perfectibles, à la volonté incertaine de se battre dans une guerre à laquelle ils n'ont pas été préparés, et au moral de plus en plus chancelant.
«Ils luttent pour faire passer leurs ordres», assure à propos de ces généraux russes l'un des diplomates interrogés par Foreign Policy, semble-t-il très au fait des rapports des renseignements occidentaux.
«Ils doivent se rendre eux-mêmes sur la ligne de front pour que les choses se fassent, ce qui leur fait prendre plus de risques que ce que l'on observerait normalement. Tout tient à un manque de préparation. Ils demandent à ce que des choses soient exécutés, et elles ne le sont pas.»
Un senior de la défense américaine interrogé par Foreign Policy note aussi que la perte de si nombreux haut ou très haut gradés tient également à la manière dont l'armée russe conçoit et met en branle ses hiérarchies.
Un style rigide et très top-down de direction ne donne que peu de marge de manœuvre et d'initiative aux officiers, forçant leurs supérieurs à s'impliquer plus directement, personnellement et physiquement dans la bataille.
«Tout vient d'en haut: vous avez intérêt à vous bouger le cul, sinon...», détaille James Foggo, général en retraite de l'US Navy. «Leur chaîne de commandement est un environnement très menaçant. Soit tu réussis à faire ce que l'on te demande, soit on te remplace, tu perds ton job –ou pire.»
Dans une interview donnée à Fortune, le général Petraeus, désormais en retraite, explique que les déboires des longs convois russes pris en embuscade sur les routes ukrainiennes sont un bon exemple de ces blocages, qu'il met également sur le dos de l'absence de corps de sous-officiers (non-commissioned officer ou NCO en anglais), justement chargés dans les armées occidentales de créer du liant entre les échelons hauts et bas.
«Que se passe-t-il? La colonne est arrêtée. Un général impatient est assis, à l'arrière, dans son véhicule blindé. Il se sent obligé de sortir et de rejoindre la tête du convoi, parce que les officiers ne prennent aucune initiative. [...] Il n'y a aucun sens de l'initiative aux échelons les plus bas. Ils attendent qu'on leur dise quoi faire. Donc le général y va. Et les Ukrainiens ont de très, très bons snipers; ils n'ont plus qu'à viser.» C'est ainsi le funeste destin qu'aurait connu le général Andreï Aleksandrovitch Soukhovetski, abattu par un sniper ukrainien selon Kiev.
Au faîte de cette chaîne dysfonctionnelle de commande règne, bien sûr, Vladimir Poutine, spécialiste s'il en est des purges radicales et dont l'impatience face à l'insuccès de son «opération militaire spéciale» semble être allée grandissant dès les premiers jours de la guerre.
Ses généraux sur le terrain, comme leurs subordonnés qui tombent eux aussi en masse, ont tout intérêt à ne pas trop le fâcher. Et pour ça, ils peuvent aller jusqu'à la mort.