Il y a quelques jours à peine, nous présentions succinctement la situation géopolitique tendue qui a fait des microprocesseurs le nerf de la guerre économique –comme celui des guerres du futur, tout court.
Au centre des attentions, une firme néerlandaise peu connue du grand public et sur laquelle les épaules du monde moderne reposent de presque tout leur poids: ASML, spécialisée dans les machines à graver les processeurs.
Elle est en particulier en pointe dans la technologie très délicate de la lithographie extrême ultraviolet (EUV), qui permet la gravure des processeurs les plus puissants du moment, et contrôle 90% d'un marché mondial de la lithographie estimé à près de 16 milliards d'euros, et en croissance constante.
Dans une volonté farouche et affichée de freiner le développement technologique et militaire de la Chine, les États-Unis imposaient récemment de nouvelles sanctions sur les exportations dans l'empire du Milieu de technologies sensibles. Washington réussissait également à convaincre les Pays-Bas d'inclure ASML à cet embargo de fait, tout comme le Japon et ses propres entreprises spécialisées dans la lithographie, Tokyo Electron et Nikon.
Oui, mais voilà
Il semble que la Chine en soit réduite à faire appel à l'une de ses spécialités, une arme invisible que se partagent l'ensemble des grandes puissances du monde: le bon vieil espionnage industriel, autrement appelé «intelligence économique».
Comme l'a rapporté Bloomberg le 15 février, ASML a ainsi consigné, dans son rapport annuel, le vol de données sensibles liées à ses technologies les plus avancées. C'est la seconde fois en un an que l'entreprise néerlandaise accuse un ou des ressortissants chinois de méfaits similaires.
«ASML nous a informé de cet incident, a déclaré la ministre néerlandaise du Commerce, Liesje Schreinemacher. Une enquête est désormais en cours, et j'attends ses conclusions. Il est néanmoins inquiétant qu'une entreprise aussi importante soit touchée par l'espionnage industriel.»
Bien que les détails soient –logiquement– plutôt rares quant à l'étendue du larcin, Bloomberg a donné quelques précisions dans un second article portant sur l'affaire. Le vol de données aurait été effectué par un ex-employé basé en Chine via Teamcenter, un système d'information (plus précisément un logiciel dédié au «product lifecycle management») permettant de partager en interne des données techniques sur les machines de l'entreprise.
La brèche aurait eu lieu «dans un dossier incluant des détails sur les machines de lithographie indispensables à la production de certains des processeurs les plus avancés du monde», écrit Bloomberg, ce qui semble indiquer que la lithographie extrême ultraviolet était spécifiquement dans le collimateur de l'espion.
ASML s'est empressée d'expliquer que le vol de données rapporté le 15 février ne devrait pas avoir d'impact sur ses activités commerciales. Leur utilisation par la Chine pour accélérer sa progression sur la voie de la souveraineté technologique est néanmoins fort possible.
La firme a ainsi également informé les États-Unis de l'affaire, les données volées pouvant contrevenir au bannissement de transferts de technologies décidé quelques semaines auparavant.
Alors que la Chine menace les États-Unis de représailles fortes pour le ballon a priori espion abattu par des F-22 au-dessus des côtes atlantiques du pays, l'affaire est une nouvelle épine dans les relations des plus tendues entre les deux nations.