Parfois agitée comme un épouvantail, la menace des trolls russes est pourtant bien réelle. Mais souvent, lorsque l'on évoque ces pratiques de guérilla numérique, on imagine les commanditaires comme des personnes ou des structures bien organisées, dotées d'un capital suffisant pour s'offrir les services des «fermes à trolls».
Il existe en effet des structures importantes, comme l'Internet Research Agency, une usine à désinformation de Saint-Pétersbourg impliquée dans la campagne américaine de 2016. Mais ce n'est que la surface des choses.
Pour une somme modique, n'importe quel particulier peut s'offrir sa propre campagne de trolls personnelle –tant qu'il sait où chercher. C'est ce qu'a expliqué à Wired Andrew Gully, un employé de Jigsaw, une société sœur de Google dédiée à la compréhension des mécaniques d'information, de censure, de désinformation, de cyberattaques, etc.
Même sur les forums underground, les offres de guérilla politique ne sont pas ouvertement proposées. Il suffit néanmoins de creuser, et chez les internautes qui vendent faux followers et retweets payants, certain·es acceptent, moyennant quelques roubles de plus, de lancer une campagne de désinformation.
730 tweets en deux semaines
Pour ne causer de tort à personne, Jigsaw a elle-même créé un faux site anti-Staline, qui bénéficie ces dernières années d'une certaine réhabilitation en Russie. Après avoir suggéré de supprimer le site directement, l'interlocuteur de Gully, appelé SEOTweet, a proposé une campagne de dénigrement du site d'une durée de deux semaines, moyennant 250 dollars (221 euros environ).
Pendant ces deux semaines, SEOTweet a posté 730 tweets en russe, à partir de 25 comptes différents, ainsi qu'une centaine de commentaires sur divers sites et forums. D'après Jigsaw, la plupart d'entre eux semblaient écrits par une personne bien réelle, et non par des bots.
En revanche, une campagne aussi artisanale que celle-ci est difficilement contrôlable. Estimant que le site était en réalité une attaque masquée contre Vladimir Poutine, SEOTweet a pris l'initiative de publier des tweets pro-Poutine, sans supervision de son commanditaire.
Certes, cette cyberattaque peu dispendieuse ne peut rencontrer qu'un écho assez restreint –insuffisant pour influencer une élection nationale, par exemple. Pour moins de 1.000 euros, il est possible de mener une campagne d'un mois, qui pourrait se révéler destructrice pour des enjeux plus discrets mais d'une importance réelle.
Puisque n'importe quel particulier peut se payer sa petite propagande, tout est imaginable: intrusion dans un scrutin local, campagne de dénigrement contre une personne ou une entreprise, etc. Le degré de malfaisance n'est pas toujours proportionnel à ce qu'elle a coûté, et quelques centaines d'euros seulement peuvent commettre d'importants dégâts.