Les choses ont beau sembler plutôt claires et calées, il reste de grands mystères dans l'univers. Des choses assez basiques, pourtant, comme: pourquoi tout semble aussi bien rangé? Pourquoi l'univers n'explose-t-il pas comme il semblerait devoir le faire selon tout ce que l'on observe? Pourquoi les galaxies, qui tournent si vite, ne se disloquent pas dans l'infini, sous l'effet de la gravité?
Cette ultime question, à laquelle Arte avait consacré un passionnant documentaire, Le Mystère de la matière noire, hante les physiciens depuis longtemps. Leur réponse théorique est celle-ci: à l'opposé de l'«énergie noire», autre force hypothétique qui empêcherait l'univers de s'effondrer sur lui-même sous l'effet de sa propre énergie, il existerait une «matière noire», que nul n'a jamais observée et dont l'effet gravitationnel permettrait au cosmos d'éviter une expansion chaotique.
Ainsi que le rappelle Popular Mechanics, personne ne sait réellement ce qu'est cette matière noire, mais elle devrait en toute logique être partout: selon les calculs, elle représenterait 80% de l'intégralité des éléments de l'univers.
La détecter est un défi à la fois scientifique et technologique –si personne ne l'a encore «vue», c'est parce qu'elle n'interagit nullement avec les rayonnements électromagnétiques, ce qui laisse à penser qu'elle n'est pas faite de matière baryonique (protons, neutrons et électrons sont les plus célèbres) mais... d'autre chose.
«Nous vivons une époque particulière, la majeure partie de notre univers est un mystère que nous ne pouvons, pour l'instant, expliquer, affirme, auprès de Popular Mecanics, Kevin Lesko, chercheur à Berkeley. Qu'est-ce que la matière noire? Qu'est-ce que l'énergie noire? Les physiciens, les cosmologistes, les astronomes travaillent actuellement très dur pour comprendre tout ça.»
Une machine et une expérience exceptionnelles pourraient les y aider. La chose se nomme LUX-Zeplin (LZ) et est enterrée dans les tréfonds du Dakota, aux États-Unis, pour protéger au mieux l'extrême sensibilité de ses multiples outils de détection de tout «bruit» environnant. Sa conception a commencé il y a neuf ans, sa fabrication deux ans plus tard –les premiers résultats ont été présentés il y a quelques semaines.
Flash light
La tâche de LUX-Zeplin est d'étudier une classe hypothétique de particules pouvant expliquer la matière noire, que les scientifiques nomment les «weakly interacting massive particles» –ou Wimps, c'est plus rigolo. Comme le décrit Popular Mechanics, ces Wimps sont supposées être des particules lourdes, lentes, d'une masse jusqu'à 1.000 fois plus élevée que celle d'un proton.
Ce sont elles qui composeraient la matière noire. Et si c'est le cas, les Wimps pourraient interagir très faiblement avec les baryons, donc avec la «matière normale»: ce sont les manifestations visibles de cette interaction que la machine américaine, la plus avancée dans le domaine, va chercher à saisir.
Au cœur du dispositif, deux réservoirs contenant 10 tonnes de xénon, un gaz ici conservé à l'état liquide et qui doit être maintenu en permanence à −100°C. Matériau de choix dans la chasse à la matière noire, le xénon peut être très dense et très pur, ce qui facilite l'éventuelle détection d'une interaction avec les insaisissables Wimps. Le réservoir de xenon du LZ est le plus vaste au monde, ce qui élargit d'autant la «cible» à observer.
Autour de ces réservoirs est placé un ensemble de tubes photomultiplicateurs, comprenant 500 détecteurs destinés à dégoter d'éventuels et minuscules flashs lumineux entre les molécules de xénon et les Wimps, à les placer dans l'espace et à trier les événements notables de ce qui relève du «bruit» ambiant.
Autour de cette installation est encore disposé un autre réservoir, dont le but est d'isoler le xénon et les instruments de toute radiation parasite. «Nous avons contrôlé la radioactivité de chaque composant du détecteur en scrutant chaque objet, boulon, vis, câble, morceau de Teflon ou de fer, afin de fabriquer l'instrument de recherche de matière noire le plus pur jamais conçu», vante Kevin Lesko auprès de Popular Mechanics.
Enfin, un autre système de détection vient, en parallèle, chercher d'éventuels faux positifs, notamment provoqués par la présence de neutrons indésirables. La profondeur de l'installation, enterrée à plus de 1,5 kilomètre sous la surface du Dakota, est son ultime protection contre les rayonnements solaires et cosmiques.
Optimisme et ravissement
Qu'a réussi à percevoir LUX-Zeplin jusqu'ici? La machine a-t-elle fini par détecter ces faibles interactions, qui prouveraient l'existence des Wimps et, par conséquent, celle de la matière noire? Non. Du moins, pas encore –ce qui n'empêche pas Kevin Lesko d'être aussi ravi qu'optimiste.
La machine fonctionne. Son système de détection est, selon lui et comme prévu, le plus «pur» jamais conçu. Trois mois ont suffi pour produire plus de données que d'autres expériences en cours depuis beaucoup plus longtemps et les prochains 1.000 jours seront consacrés à booster la sensibilité de LZ.
Peut-être ne faudra-t-il encore que quelques années pour que la science puisse enfin éclaircir ce que seule la théorie pure peut aujourd'hui expliquer.