La Sibérie regorge de trésors. Ses sols renferment des gisements d'or, de diamant et d'argent. Mais depuis quelques années, les mineur·euses s'intéressent à la région pour une toute autre richesse.
Dans un article paru dans la revue géopolitique Hérodote, les chercheurs Hugo Estecahandy et Kévin Limonier détaillent pourquoi la région reculée est devenue une terre promise pour le minage de cryptomonnaies.
Les bitcoins, ou autres cryptomonnaies basées sur la blockchain, doivent être «minées». Pour cela, il faut se servir de la puissance de calcul d'un ordinateur (souvent une machine uniquement conçue pour cette tâche), afin de valider des transactions cryptées. Les mineurs et les mineuses sont rémunérées en bitcoin, à l'échelle de leur capacité de calcul.
Le problème de cette méthode est qu'elle est extrêmement gourmande en énergie. C'est précisément la raison pour laquelle la Sibérie est si intéressante. Les fleuves qui parcourent la région sont équipés de barrages hydroélectriques, initialement prévus pour alimenter en énergie les usines de production d'aluminium. Mais l'effondrement industriel post-soviétique a fait chuter la demande d'électricité, qui y est donc très bon marché.
Climat de rêve
De surcroît, la Sibérie est l'une des régions les plus froides du monde et le climat y est sec: deux avantages conséquents pour le refroidissement des serveurs de minage.
Elle bénéficie aussi d'une excellente connexion internet, puisqu'elle est traversée par le TEA, ou Transit Europe-Asia, le câble internet qui, depuis 2005, relie l'Europe à l'Asie. Depuis 2014, la Russie oblige toute entreprise à héberger sur le sol national les informations qui appartiennent à des ressortissant·es ou à des personnes morales russes. Depuis, de nombreux data centers ont essaimés en Sibérie, qui dispose depuis longtemps d'une main-d'œuvre qualifiée dans le domaine.
Tous ces avantages s'ajoutent au fait que la Russie ne régule quasiment pas cette activité, contrairement à son voisin chinois notamment. Elle se développe donc au gré d'accords opaques avec les autorités politiques et financières locales, qui ont flairé le bon filon.
C'est notamment le cas d'Oleg Deripaska, un oligarque proche de Poutine. Patron notamment d'EN+ Group, qui contrôle la majorité de la production électrique de la région, il voit dans les cryptomonnaies un moyen d'enrichissement personnel ainsi qu'une manière de gagner en influence. EN+ pratique ainsi des tarifs préférentiels pour attirer les mineurs et mineuses.
Souveraineté numérique
Car ce foyer composés d'entrepreneur·euses indépendant·es et de plus grandes installations participe aussi à la construction d'une considérable puissance de calcul informatique en Russie. Puissance qui pourrait être utilisée pour autre chose, notamment la construction d'un «internet souverain», soit la capacité pour l'État de contrôler totalement internet au sein de ses frontières.
C'est un rêve caressé par Vladimir Poutine, mais qui nécessite d'après Estecahandy et Limonier «de solides capacités de filtrage des données numériques». Seulement, la Russie ne dispose pas encore de ce type de capacité, comme l'a montré l'humiliante interdiction totalement inefficace de Telegram.
Ainsi, «en attirant de la puissance de calcul sur le territoire, le développement des cryptomonnaies rejoint la question de la souveraineté numérique russe et de l'autonomie stratégique du pays».
Pour l'instant, le secteur est en plein essor et aucun avenir n'est dessiné avec une complète certitude. Cependant, ce développement en dehors d'un réel cadre légal pourrait à terme jouer en faveur du pouvoir: le «système Poutine» s'appuie souvent sur la corruption et les échanges de bons procédés.