La situation de l'Ukraine ne cesse de donner des leçons au reste du monde. Elle est notamment scrutée de près par la Chine, qui a sans doute beaucoup à apprendre des échecs russes, mais également par les États-Unis, qui pourraient se retrouver avec un second conflit de grande ampleur à gérer si l'empire du Milieu décidait de s'emparer de cette île qu'elle considère sienne.
Dans la région, les tensions ne descendent d'ailleurs pas. Après la visite à haut risque de Nancy Pelosi cet été à la petite démocratie insulaire du Pacifique et les importantes manœuvres militaires chinoises qui ont suivi, les deux pays continuent à se toiser, à se chercher, presque.
Nous expliquions il y a quelques semaines comment la Chine «trollait» son voisin par l'usage permanent de drones à proximité de ses côtes, voire au-dessus de certains de ses petits avant-postes militaires.
De son côté, faisant face à l'activité aérienne menaçante des chasseurs et bombardiers chinois dans la zone, Taïwan a annoncé début octobre un changement de politique: toute incursion chinoise dans son espace aérien, même si aucune munition n'était tirée, serait considérée comme une «première frappe», une déclaration de guerre.
Ces tensions et le risque éventuel d'un dégoupillage soudain expliquent pourquoi les États-Unis surveillent la situation d'aussi près –et notamment la manière dont Taïwan se prépare sur le plan militaire et technique.
Là aussi, les leçons ukrainiennes semblent bien apprises, comme l'analyse le New York Times. Sachant qu'une guerre déclenchée par Pékin commencerait probablement par un long blocus, comme ont semblé l'indiquer ses manœuvres militaires de l'été, les États-Unis souhaitent faire de l'île un «porc-épic» armé jusqu'au dents, un dépôt d'armes géant, suffisamment bien fourni pour permettre à l'île de tenir jusqu'à l'arrivée d'une aide extérieure.
Petit mais costaud
Le Pentagone et les législateurs américains cherchent entre autres à changer la nature des armes acquises par Taïwan: disséminées partout sur l'île, de «petites» armes plus nombreuses, notamment les armes antiaériennes Stinger ou antichars Javelin et NLAW qui ont fait tant de merveilles en Ukraine, seraient préférables à des systèmes plus lourds, sophistiqués et coûteux pour viser ce type de résistance au long cours.
«Créer un stock important à Taïwan est un point très actif de la discussion», explique au quotidien new-yorkais Jacob Stokes du Center for a New American Security, qui fut conseiller pour l'Asie de Joe Biden lorsqu'il était vice-président. «Mais si vous créez ces stocks, comment les protégez-vous, comment les dispersez-vous pour que les missiles chinois ne les détruisent pas?»
«L'idée est qu'il faut allonger la durée pendant laquelle Taïwan peut tenir toute seule, ajoute l'analyste. C'est ainsi que l'on empêche à la Chine de cueillir le fruit mûr de sa stratégie de fait accompli –on ne souhaite pas qu'elle gagne un jour avant que nous puissions intervenir, si du moins nous intervenions.»
Ce qui semble devoir être le cas, du moins à en croire les récentes déclarations de Joe Biden qui, en annonçant plusieurs fois sa volonté d'intervenir en cas d'éventuelle attaque, s'est quelque peu éloigné de la vielle doctrine dite «d'ambiguïté stratégique» des États-Unis dans la région.
Les autorités de Taïwan semblent peu à peu comprendre ce besoin de constituer un important stock de «petites» armes exprimé par les États-Unis. «Je pense que nous approchons d'un haut niveau de consensus en matière de priorités pour une stratégie asymétrique, déclarait récemment l'ambassadrice de fait de Taïwan à Washington, Hsiao Bi-khim. Mais nous devons aller plus vite.»
Accélérer l'armement de l'île ne va pourtant pas de soi, et ce d'abord pour des raisons purement industrielles: alors que les armées occidentales vident leurs propres stocks d'armes et de munitions pour fournir l'Ukraine, les fabricants peinent à tenir la cadence et rechignent à lancer de nouvelles lignes de production sans l'assurance de commandes durables et prévisibles. Des discussions en ce sens ont donc débuté un peu partout dans le monde, y compris en France.
Et si se pose cette question de la manière industrielle dont les stocks initiaux peuvent être constitués sur l'île, celle de la méthode d'acheminement de nouvelles armes, en cas de blocus, est également à régler.
Par air ou par mer, rien n'est encore clair côté américain pour éviter une confrontation directe avec les forces armées chinoises, avec sa flotte géante –désormais la plus puissante au monde– ou avec ses chasseurs dernier cri, comme le J-20 furtif et ses redoutables missiles.