Si vous cherchez dans Google le nom de l'avion le plus rapide du monde, vous trouverez le Lockheed SR-71 Blackbird, un appareil mis en service en 1964 par l'armée des États-Unis et qui a volé jusqu'en 1998. Légendaire, le bolide déjouait les radars et défenses anti-aériennes en atteignant 3.398 km/h en vitesse de pointe.
Pourtant, le Blackbird avait déjà été dépassé en vitesse par l'aéronef dont il était en réalité l'héritier, nommé A-12, un avion top secret de la CIA qui pouvait atteindre les 3.574 km/h. En 1960, en pleine Guerre froide, l'agence américaine désirait construire un avion espion pouvant voler très haut et très rapidement afin d'échapper aux défenses anti-aériennes de l'URSS. Le programme est alors baptisé «Project Oxcart».
Habituellement, les avions ultra-rapides peuvent pousser leurs réacteurs pour effectuer des pics de vitesse pendant quelques minutes. Cette fois en revanche, la CIA souhaitait que l'engin soit capable de voler à plus de 25 kilomètres d'altitude à Mach 3, soit trois fois la vitesse du son, et ce pendant plusieurs heures.
Dans ces conditions extrêmes, la température du fuselage du A-12 pouvait excéder les 550°C. Les matériaux habituels que sont l'acier et l'aluminium ne pouvant supporter de telles extrémités, la CIA avait besoin d'utiliser un alliage de titane. Problème: un seul pays dans le monde disposait à l'époque de réserves de titane suffisantes pour la construction de l'avion espion... L'Union soviétique.
Via un réseau de sociétés-écrans et d'intermédiaires, la CIA a donc acheté en URSS le titane dont elle avait besoin. Pour ne pas attirer l'attention de Moscou, le A-12 a été développé dans le plus grand des secrets.
Paranoïa et zone 51
Les tests étaient effectués dans un aéroport isolé situé à Groom Lake, un désert de sel dans le Nevada, désormais plus célèbre sous le nom de zone 51. Les conditions de sélection des pilotes autorisés à prendre les commandes du A-12 étaient aussi drastiques que la sécurité de cette base mythique.
La CIA exigeait ainsi que chaque militaire ait à son actif «2.000 heures de vol, 1.000 d'entre elles dans les derniers avions de combat à hautes performances», raconte David Robarge, historien de la CIA. Mais ce n'est pas tout. Les pilotes devaient être «mariés, émotionnellement stables et très motivés, entre 25 et 40 ans, d'1m80 et de 80 kilos maximum, afin de pouvoir entrer dans le cockpit exigu».
Si les exigences d'un certain nombre d'heures de vol au compteur et de conditions physiques spécifiques tombent sous le sens, celle du statut marital s'explique par la peur de la défection qui régnait à l'époque: les pères de famille étaient réputés moins susceptibles de trahir les États-Unis afin de rejoindre l'Union soviétique.
D'après Robarge, Oxcart était si secret que les supérieurs hiérarchiques des candidats ne savaient pas dans quel programme s'embarquaient leurs subordonnés. Il était aussi particulièrement dangereux: sur onze soldats sélectionnés pour y participer, deux sont morts lors d'accidents.
En tout, seuls dix-huit exemplaires ont été construits et utilisés de 1962 à 1965, exclusivement par la CIA. Le A-12 a ensuite été remplacé par le célèbre SR-71, utilisé par l'US Air Fore. Ce successeur volera quant à lui pendant des décennies –mais légèrement moins vite.