Mer Noire, Baltique, mer de Chine méridionale, mer d'Oman... Les zones maritimes en extrême tension ne manquent pas dans le monde et, comme l'explique Wired, de mystérieux pyromanes géopolitiques ont trouvé un moyen d'ajouter de la poudre aux flammes: truquer les données GPS des navires qui rôdent, se croisent et se décroisent dans le parage immédiat de ces zones âprement contestées.
Le site américain cite en introduction de son article le cas du HMS Queen Elizabeth, porte-avions britannique et fleuron de la marine de Sa Majesté. Le 17 septembre 2020, son transpondeur AIS (système d'identification automatique, destiné entre autres à éviter les collisions) indiquait au monde qu'il croisait en mer d'Irlande, flanqué d'autres navires de guerre, notamment belges ou néerlandais.
Ces données pouvaient être suivies sur les plateformes ad hoc et publiques que vous avez peut-être utilisées pour suivre les mésaventures de l'Ever Given dans le canal de Suez.
Sauf que: pointés sur les coordonnées fournies par l'AIS des navires en question, les satellites ne montraient que l'océan et lui seul, les embarcations concernées n'étant en réalité ni regroupées ni dans cette zone à cet instant précis.
Bien qu'il ne soit pas souvent officiellement rapporté, le phénomène n'a rien de rare. Selon une analyse menée par SkyTruth et Global Fishing Watch, plus de 100 navires issus de 14 nations différentes ont ainsi vu leurs données GPS falsifiées depuis août 2020.
Il s'agit, pour la plupart mais pas uniquement, de bateaux militaires, généralement européens. Leurs données ont été truquées par un acteur dont le mode opératoire laisse à penser qu'il est unique, et peut-être étatique.
Incursions fantômes, représailles réelles
Data analyst pour SkyTruth et Global Fishing Watch, Bjorn Bergman enquête depuis des années sur ces falsifications, qui sont régulièrement utilisées dans le cadre d'activités de pêche illégale.
C'est en croisant méticuleusement les données open source, les rapports privés et les annonces militaires avec les flux AIS de centaines de navires que le Suédois a compris que ces falsifications avaient pris une ampleur inédite, et ne concernaient pas uniquement la pêche illégale.
Ce qu'il a découvert est pour le moins inquiétant. Telle cette incursion de l'USS Roosevelt, important destroyer américain, dans les eaux territoriales russes, à quelques encablures de Kaliningrad en novembre 2020, suivie de cinq autres occurrences similaires.
Ou, en juin 2021, le HMS Defender britannique et le HNLMS Evertsen néerlandais procédant à une approche directe du port de Sébastopol en Crimée, territoire hautement contesté sur une mer Noire transformée en poudrière. Victime récente d'une bien étrange fuite, le HMS Defender a également, le même mois, été l'objet d'intimidations proches et directes de la part des forces armées russes.
Interrogé sur la question, le ministère britannique de la Défense assure connaître la situation et être conscient des manipulations. Bjorn Bergman explique quant à lui ne pas pouvoir clairement identifier l'auteur, l'organisation ou l'État responsable de ces falsifications. Interrogé par Wired, l'expert américain en communications Todd Humphreys ne le peut pas plus –mais il n'hésite pas quant à lui à pointer la Russie du doigt.
Comme le prouve le travail de Bergman, il est généralement simple de découvrir et prouver ces falsifications, sans doute plus simple encore pour un État et ses moyens illimités. Mais noyer les données véritables sous un torrent de fausses informations pourrait aider une nation –la Russie, peut-être– à justifier, dans l'urgence, la légitimité de représailles face à une incursion pourtant inexistante.