Sauf bien sûr à en faire don d'une manière ou d'une autre à l'humanité, il faudrait de nombreuses vies pour dépenser les fortunes accumulées par les plus riches êtres humains, à commencer par Jeff Bezos, le mieux loti d'entre nous.
Plusieurs vies? Ce dernier semble y penser très sérieusement. C'est ainsi que la MIT Technology Review nous informe que l'Américain, désormais ex-patron d'Amazon aux visées spatiales démesurées pour l'espèce humaine, fait partie des très riches premiers investisseurs à déverser des millions dans Altos Labs, une start-up américano-britannique de la biotech faisant le pari, désormais plus tout à fait fou, de la médecine régénérative et du rajeunissement cellulaire.
Bezos est ainsi parmi celles et ceux qui portent financièrement le projet. Ce dernier semble avoir été initié par un autre milliardaire, Iouri Milner, qui l'avait originellement conçu comme un projet philanthropique. Le but était d'octroyer des financements à des scientifiques de haut niveau travaillant sur la question aux ramifications vertigineuses de la longévité cellulaire.
À la barre de ce petit club de nouveaux démiurges, on pouvait notamment trouver Jennifer Doudna qui, avec la Française Emmanuelle Charpentier, a remporté le prix Nobel 2020 de chimie pour son travail sur Crispr-Cas9, le «couteau suisse de l'édition du génome».
On trouve également, et peut-être surtout, le médecin japonais Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2012 et considéré comme le «père des cellules souches pluripotentes». Sa découverte porte sur la reprogrammation cellulaire: celle-ci permet d'ordonner à une cellule de revenir à un état primitif, aux propriétés de cellule souche, et ouvre des perspectives folles sur le traitement de certaines maladies et la question du rajeunissement des organes, voire de corps entiers.
C'est que le début, d'accord, d'accord
Depuis, le projet philanthropique s'est transformé en Altos Labs, une start-up à visées plus concrètement commerciales, fondée plus tôt cette année aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Avec des financements qui semblent ne pas manquer, la jeune entreprise souhaite monter des laboratoires en Californie, en Angleterre ou au Japon, et recrute à tour de bras des scientifiques de haut niveau.
Outre Shinya Yamanaka, qui conservera un rôle au sein de la firme sans en être salarié, on trouve parmi eux des scientifiques comme Steve Horvath de l'UCLA, inventeur de l'horloge épigénétique, qui permet de connaître l'âge et la longévité précises d'une cellule, Peter Walter, dont les recherches sur la maladie d'Alzheimer et le déclin cognitif semblent prometteuses, ou Wolf Reik, spécialiste de la reprogrammation.
Également recruté: Juan Carlos Izpisúa Belmonte du Salk Institute, dont les chimères embryonnaires humain-singe ont provoqué quelques remous dans la communauté scientifique en 2018. En 2016, Izpisúa Belmonte testait aussi des techniques de médecine régénérative et de reprogrammations cellulaires non sur des organes individuels, mais sur des souris entières –avec des résultats parfois impressionnants et prometteurs, mais parfois dramatiques pour les rongeurs testés.
Pour toutes ces personnes, la promesse est simple: Altos Labs, en plus de très gros salaires (il est question de plus d'un million de dollars par an), promet des conditions de recherche parfaites et libres. De quoi en somme joindre avec force la grande course à l'éternité lancée depuis des années.
Car outre les universités et organismes publics, tels le CNRS et l'Institut Pasteur en France pour ne citer qu'eux, Altos Labs a déjà quelques concurrentes commerciales, comme Calico Labs, projet initié par Google et Larry Page, Life Biosciences, Turn Biotechnologies, AgeX Therapeutics ou Shift Bioscience.
À terme, l'objectif de ce champ de recherche et de ces scientifiques, qui bénéficient de très larges financements dans le cas des start-ups, est aussi fou qu'il est simple. Ils souhaitent découvrir la clé permettant à des organes entiers (peau, foie, cœur...) de se régénérer, ils veulent réparer les corps grâce à la génétique et, in fine, offrir l'immortalité à l'être humain. Ou du moins à celles et ceux qui pourront se la payer?