Imaginé au début des années 1980 par le prix Nobel de physique Richard Feynman, l'ordinateur quantique semble se rapprocher de nous chaque jour un peu plus.
Pas un mois ne s'écoule entre les annonces tonitruantes de Google, d'IBM, de start-ups ou de laboratoires de recherche. En 2019, le premier a affirmé avoir atteint la supériorité quantique, son processeur de 53 qubits ayant effectué un calcul plus vite que le supercalculateur conventionnel le plus rapide.
En juin, le second a présenté son premier ordinateur quantique commercial de 25 qubits en Europe. Le 23 août dernier, c'est Amazon qui est entré dans la danse, expliquant vouloir élaborer son propre ordinateur quantique.
Ce qui fait fantasmer toutes ces sociétés? La promesse de démultiplier la puissance de calcul en effectuant un grand nombre d'opérations en parallèle.
Contrairement aux ordinateurs classiques, qui fonctionnent sur un système binaire de bits 0 ou 1, les ordinateurs quantiques recourent aux qubits, qui peuvent exister simultanément sous forme de 0 et de 1 (superposition).
De plus, lorsque deux qubits interagissent, leurs états physiques «s'enchevêtrent», on parle alors d'intrication, ou chaque qubit est dépendant de son voisin.
L'ordinateur quantique va exploiter ces deux paramètres (superposition et intrication) pour effectuer une série d'opérations, de telle sorte que certaines probabilités (celles amenant aux bonnes réponses) soient augmentées et d'autres (celles donnant des mauvaises réponses) soient diminuées ou annulées.
Le problème, c'est que les qubits souffrent d'une grande instabilité. La moindre variation de champ magnétique, vibration ou de température suffit à faire perdre aux qubits leurs propriétés quantiques, ce que l'on appelle la décohérence.
Graal inaccessible
Le défi est donc de maintenir un état quantique suffisamment longtemps pour que l'on obtienne le résultat du calcul. Aujourd'hui, dans un ordinateur quantique, la plupart des qubits –peut être 5 sur 6– servent à corriger les erreurs et non pas à effectuer le calcul, estime le New Scientist.
«Cela signifie que nous aurons besoin d'au moins un million de qubits avant de pouvoir faire quelque chose de vraiment utile», jauge le site. On en est donc très, très loin (les ordinateurs quantiques plafonnent aujourd'hui à 100 qubits).
«D'un point de vue pratique, l'informatique quantique actuelle ne sert strictement à rien, si ce n'est à faire de la publicité pour les entreprises», jugeait en mai Isaac Chuang, un chercheur du MIT et une sommité en la matière.
Cela n'empêche pas les entreprises en question d'y croire encore. En mai dernier, Google a lancé un campus entier dédié à l'intelligence artificielle quantique, avec pour objectif de créer un ordinateur quantique géant doté d'un million de qubits d'ici 2029.
Une quête totalement vaine pour de nombreux experts. «Le niveau de bruit dans un ordinateur quantique sera toujours trop élevé, quel que soit le nombre de qubits disponibles», tranche Gil Kalai, mathématicien à l'université hébraïque de Jérusalem d'Israël. Cela fait déjà quarante ans que l'on attend l'ordinateur quantique. Jusqu'où ira notre niveau de patience?