Le blocage du canal de Suez par l'Ever Given fin mars représente aux yeux de certains les dérives du gigantisme du transport maritime. Avec ses 400 mètres de long et ses 220.000 tonnes, l'Ever Given est l'un des plus gros porte-conteneurs au monde (le plus massif étant le HMM Algeciras, d'une capacité de 24.000 EVP –équivalent vingt pieds).
Songez qu'en 1999, le plus gros porte-conteneurs avait une capacité d'à peine 7.200 EVP. Une étude signée à l'époque par l'université de Delft et citée par Bloomberg avait alors affirmé qu'il serait impossible de construire un porte-conteneur de plus de 18.000 EVP.
Vingt ans plus tard, un tel navire ferait presque figure de confetti. Plus d'une centaine de porte-conteneurs de plus de 20.000 EVP sillonnent désormais les océans du globe, et un quart des cargos en préparation dans les chantiers chinois et sud-coréens dépassent les 24.000 EVP.
S'il existe également une course à la vitesse, avec des navires plus modestes, cette course au gigantisme est loin d'être terminée, prévient David Fickling dans Bloomberg. Le chantier naval de Hudong-Zhonghua Shipbuilding prépare déjà des bateaux de plus de 25.000 EVP et, selon une étude coréenne de 2019, des porte-conteneurs de plus de 30.000 EVP et 500 mètres de long sont à attendre d'ici la fin de la décennie.
L'objectif de ces porte-conteneurs géants est naturellement de faire des économies d'échelle: plus la quantité des marchandises embarquées sont importantes, plus le trajet est rentable, bien que le bateau consomme aussi plus de carburant. Ils peuvent aussi desservir un plus grand nombre de ports lors de leurs différentes escales.
Size matters
Mais la taille monumentale atteinte de ces navires commence à poser de sérieux problèmes. Le temps nécessaire pour charger et décharger la marchandise s'allonge ainsi de façon déraisonnable, alerte l'étude coréenne: il devrait dépasser les quatre-vingt-dix-sept heures pour les navires de plus de 30.000 EVP, bloquant ainsi le quai pour les autres bateaux.
D'autre part, certains ports parviennent déjà à leurs limites. À Rotterdam, par exemple, les plus gros porte-conteneurs doivent attendre la marée haute pour accoster. Les ports de Shanghai, Busan et Hong Kong risquent également de devoir draguer encore plus profond pour permettre à ces méganavires d'approcher du quai.
L'Ever Given est déjà trop gros pour passer le canal de Panama, qui comporte plusieurs écluses pour traverser le relief montagneux. D'autres passages critiques comme les détroits de Malacca et de Singapour, qui exigent un tirant d'eau (partie immergée du bateau) de 24 mètres maximum, auront du mal à accueillir les futurs géants des mer actuellement en construction.
«À l'heure actuelle, la contrainte qui pèse sur le commerce Est-Ouest n'est pas d'ordre technique, mais géologique», conclut Bloomberg.