«N'y crois pas, mais ne quitte pas la maison sans», dicte un ancien proverbe turque à propos du fal, une pratique ancestrale qui consiste à lire l'avenir dans le dépôt des tasses de café.
Considéré comme un art qui tient tant du divertissement que de la prédiction sérieuse, le fal a réussi à s'inventer une modernité grâce à Sertaç Taşdelen, le créateur de Faladdin.
L'application rencontre un tel succès qu'elle compte 5 millions d'adeptes l'utilisant chaque mois et trône en tête de l'app store dans la catégorie Lifestyle en Turquie. Elle rapporte également 4,5 millions d'euros de revenus à son créateur et ses trente employé·es.
Le fonctionnement de Faladdin est simple. Il suffit de prendre une photo du fond de votre tasse de café turque et de l'envoyer. L'application offre ensuite un choix: si vous regardez la pub, la prédiction est immédiate, sinon il vous faudra attendre 15 minutes.
Faladdin rencontre un tel engouement qu'elle génère immanquablement des polémiques autour de la vie privée: surveille-t-elle l'application iMessage sur les iPhones? Espionnerait-elle Photo Streams? L'application ne pourrait pas, sans cela, parvenir à des lectures «aussi précises», dit-on.
«Ce n'est pas ce que nous faisons, se défend Sertaç Taşdelen dans le reportage de Rest of World. Nous prenons uniquement en compte les informations que les utilisateurs nous donnent» –à savoir l'âge, le genre, le job et le statut amoureux. «Les célibataires d'un certain âge envisagent le mariage. Les parents se demandent ce qui attend leurs enfants», constate-t-il.
Croyance et algorithme
Sertaç Taşdelen sait de quoi il parle. Il a grandi en observant Binnaz, sa mère, qui était pharmacienne et faisait des café en lisant le fal dans les tasses de sa clientèle en même temps qu'elle leur délivrait leur prescription. En 2010, en parallèle d'un poste chez Ernst&Young et d'une carrière dans le mannequinat, il a créé un blog Wordpress afin qu'elle le fasse en ligne.
Il a ensuite proposé à d'autres diseurs et diseuses de bonne aventure de rejoindre Binnaz et le site est devenu une application permettant de mettre en relation près d'un millier de voyant·es et les nombreuses personnes qui les consultent.
C'est ainsi que lui est venue l'idée de Faladdin, un complément qui permettrait d'offrir la prédiction en se débarrassant de l'intermédiaire. Car «l'algorithme de l'humanité n'est pas compliqué», philosophe Sertaç Taşdelen. «Les attentes sociales rendent plutôt facile de prédire nos inquiétudes.»
Son application ne fait d'ailleurs que moderniser les anciennes traditions prophétiques, analyse l'autrice de l'article, Kaya Genç. «Faladdin joue sur la frontière ténue entre l'inconnu des algorithmes modernes et les anciennes traditions prophétiques, laissant penser que l'application puisse connaître quelque chose que nous ne savons pas», écrit-elle.
Elle pose la question qui prend des airs de constatation: «Est-il différent de mettre nos doutes entre parenthèse lorsqu'il s'agit de technologie, plutôt que de religion? Nous donnons notre consentement et nos données à Faladdin pour qu'elle prédise nos désirs et anticipe nos prochaines actions, de la même manière que nous laissons l'algorithme de recommandation Netflix ou le remplissage automatique de la barre Google choisir pour nous.»