Il y a quelques jours, Elon Musk informait les derniers de ses Mohicans, celles et ceux des salariés de Twitter qu'il n'avait pas (encore) virés avec une violence morale inouïe ou la délicatesse d'un bison au galop, que leurs prochaines gratifications dépendraient de la valeur de la firme, désormais estimée à 20 milliards de dollars (18,4 milliards d'euros).
Or, 20 milliards de dollars, c'est plus que moitié moins que ce que le patron de Tesla –et les banques, les financiers et les fonds qui ont accepté de l'aider à satisfaire son caprice– a mis sur la table pour acquérir la plateforme de microblogging, soit environ 44 milliards de dollars.
Pour sauver le navire du naufrage, et son dispendieux investissement d'une banqueroute (le fameux Chapter 11 américain) qu'il a un temps jugé proche de quelques mois, Elon Musk n'a pas juste drastiquement coupé dans les dépenses, humaines et matérielles, de la plateforme.
Son idée de «génie», entre guillemets, pour redresser la barre? Le fameux Twitter Blue, son offre payante à 11 euros par mois. Celle-ci offre de menus services aux abonnés (dont la fonction d'édition des tweets, réclamée depuis des années) mais est surtout destinée à faire payer à la plèbe la petite coche bleue de la vérification.
Autrefois réservée aux profils vérifiés et d'intérêt, elle a un temps constitué la «noblesse» de la plateforme et a permis de confirmer la présence de personnes ou organisations véritables et vérifiées derrière un compte. Un moyen d'éviter les détournements et contrefaçons et de mieux appréhender les qualités d'une parole.
De mal en pis
Ça n'a d'ailleurs pas loupé: l'un des premiers exploits du Twitter Blue première version a été de permettre à quelques coquins de se faire passer pour la firme pharmaceutique Eli Lilly et d'annoncer une baisse drastique du prix de l'insuline aux États-Unis, ce qui a placé l'ensemble du secteur dans une très fâcheuse posture.
L'autre promesse de Twitter Blue, qui lui a valu l'ire de nombreuses personnalités publiques, notamment du gouleyant auteur américain Stephen King, était de se débarrasser des armées de bots et comptes illégitimes qui pullulent sur Twitter et de donner une plus grande visibilité aux comptes payants. En gros: payez et l'algorithme vous fera (peut-être et vaguement) apparaître dans le fil de la discussion publique, ou soyez radin et vous disparaîtrez dans les abysses noires de l'oubli et les affres de la solitude.
Derniers épisodes en date: alors que les comptes vérifiés «historiques» ne payant pas leur dîme doivent voir leur coche bleue disparaître le 1er avril, Elon Musk a récemment annoncé que seuls les comptes Twitter Blue apparaîtraient dans le fil «Pour vous» de la plateforme. Avant de se raviser quelques heures plus tard, conscient de l'imbécilité d'une telle proposition.
he did it, folks. he found a way to make For You worse pic.twitter.com/y53TSNUYPm
— Best of Dying Twiter (@bestofdyingtwit) March 28, 2023
"forgot to mention" pic.twitter.com/Opuo7MJJxu
— Best of Dying Twiter (@bestofdyingtwit) March 28, 2023
Mais quelques mois après la mise en place troublée de ce système, où en est Twitter Blue? En gros, et ainsi que l'explique Mashable, l'offre payante de la plateforme est un véritable flop, plus proche du fond du trou que des cimes lumineuses.
D'après des analyses plutôt solides réalisées par le chercheur Travis Brown, qui suit les abonnements à la chose depuis quelques mois, les chiffres sont en effet proprement minables. Alors qu'Elon Musk a un temps promis 20 millions d'abonnés à courte échéance, voire le triple pour 2025 lors de la première annonce de l'arrivée Twitter Blue, Travis Brown a calculé que l'abonnement avait attiré à peine 475.000 cartes bancaires, au mieux, depuis sa naissance en décembre 2022.
Twitter Blue promettait la visibilité à celles et ceux qui payaient? Pourquoi pas... Mais sur l'ensemble de ces comptes facturés, la moitié environ (220.000) disposent de moins de 1.000 abonnés, 78.000 moins de 100 et 2.270 personnes paient 8 dollars ou 11 euros par mois pour n'avoir aucun follower et parler dans le vide.
Une offre professionnelle à 1.000 balles par mois a également été proposée aux entreprises et organisations, avec 50 dollars ou euros de plus pour chaque compte lié à certifier. Elle a semble-t-il provoqué nombre de haussements d'épaules, voire a été assez largement moquée sur le réseau.
Companies say Elon Musk's plan to charge $1,000 for month for Twitter checkmarks is 'outlandish' and makes them 'meaningless'https://t.co/5FfgxIJQh1
— LeGate🤠 (@williamlegate) March 29, 2023
Financièrement, le bidule rapporte donc une roupie de sansonnet. Selon TechCrunch, qui de son côté rapporte des calculs effectués par la firme Sensor Tower, Twitter Blue n'a fait gagner à l'entreprise que 11 millions de dollars sur l'application depuis que le service a été relancé il y a trois mois. Et ce alors que les revenus publicitaires sur la plateforme continuent leur vertigineuse dégringolade.
Pire, la menace de perdre leur précieuse coche bleue ne semble pas réellement agiter les cauchemars des comptes vérifiés «historiques»: selon les données compilées par Travis Brown, seuls 6.482 de ces «legacy verified accounts» ont sorti la carte bleue pour s'abonner à Twitter Blue.
Si ils et elles rechignent, c'est peut-être que le système qu'Elon Musk tente de mettre en place, sa personnalité, ses méthodes inhumaines de management, ses prises de parole hasardeuses voire scandaleuses, son virage à alt-right toute et ses accointances avec le conspirationnisme le plus bas du front ont fini par les refroidir.
Every single person I’ve seen with this has been a horrible person. It seems like being a cretin is a requirement of a Twitter Blue subscription on top of the fee. pic.twitter.com/CPZ5cKaJ3F
— Kenny Mitchell (@_KennyMitchell) January 9, 2023
Twitter Blue members be like 🤣🤣 pic.twitter.com/qTYYbtCON6
— Tommy Mason (@_TommyMason) November 10, 2022
Thread : Quelques memes pour se moquer des gens qui payent la certif ☑️ pic.twitter.com/6KLv0Kwgry
— Vettel m'a tué (@vettelmatue) November 10, 2022
Une pluie drue de mèmes attend ainsi ceux qui paient leur abonnement et prennent la parole sur le réseau: la coche bleue n'est plus un signe de noblesse, mais une marque de proximité philosophique avec Elon Musk, avec le monde si clivant des cryptomonnaies ou avec la droite américaine la plus dure, que beaucoup moquent désormais abondamment.