On se souvient, au début de la guerre, de la manière dont l'infini convoi de blindés et camions russes fonçant, à son allure d'escargot, vers Kiev fut stoppé par les forces ukrainiennes, de ces images de rues entières à Boutcha, avant les horreurs de l'occupation, jonchées des carcasses fumantes de chars et engins de ravitaillement frappés en série par un destin funeste.
On se souvient également de la manière dont les missiles antichars envoyés en masse par les pays occidentaux, tels le fameux «Saint-Javelin» ou le NLAW, semblaient seuls responsables de cette défense acharnée, soldée par la retraite des forces du Kremlin du nord du pays.
Mais comme l'expliquait Bloomberg récemment, si l'importance vitale de ces armes fut et reste certes réelle pour les Ukrainiens et leur défense contre l'agresseur, elles ne sont qu'une partie de l'équation –ou de la légende.
Car si ce sont bien des missiles antichars qui ont stoppé l'avant du convoi, ce sont ensuite de bonnes vieilles pièces d'artillerie de 155 mm qui, la visée guidée avec précision par des drones de reconnaissance, se sont chargées des engins qui suivaient.
On s'étonne moins alors de l'insistance de l'Ukraine pour que ses alliés lui envoient des armes lourdes avant que la bataille du Donbass, seconde phase de la guerre en cours, ne débute. Les gros canons à longue portée restent centraux dans les conflits modernes de haute intensité; la Russie de son côté ne s'est pas privée d'y faire massivement appel et le conflit s'est partiellement transformé en un duel d'artilleurs.
C'est la portée qui compte
L'Occident a mis du temps mais a fini par répondre à l'appel. Les États-Unis notamment, dans les «packages» massifs d'aide militaire voulus par l'administration Biden, ont envoyé ou sont en train d'envoyer la bagatelle de 90 canons M777 de 155 mm, capables de tirer à une distance comprise entre 20 et 40 kilomètres, avec des obus Excalibur.
Des M109 Paladin autoportés sont également livrés en nombre par le Pentagone. La France, pour sa part, a décidé de prélever une douzaine de ses canons autoportés Caesar de son inventaire en comptant 78, pour les fournir à Kiev: d'une portée de 40 kilomètres et déjà employé en Afghanistan, au Sahel ou en Irak, l'engin est doté d'une excellente réputation dans les milieux militaires.
L'Allemagne aussi, malgré ses atermoiements, a fini par franchir le Rubicon et imiter les Pays-Bas en décidant l'envoi d'obusiers autoportés PzH 2000 d'excellente réputation, dotés d'une portée importante de 56 kilomètres avec certains types d'obus roquettes.
Belgique, Italie, Canada –pour ne citer qu'eux... Tous envoient des canons de divers modèles et, tout aussi important, des centaines de milliers d'obus parfois de haute technologie vers Kiev. Qui en fait, à en croire un très récent rapport du département de la Défense américain, un usage d'une grande efficacité.
#Ukraine: We also can get a brief look at what ammunition is being used with Ukrainian M777A2 howitzers - M795 and M549A1 RAP projectiles with impressive ranges of 22.5 km and 30km+ for the latter due to the presence of a rocket motor.https://t.co/6eD7suYYGV pic.twitter.com/oYOo4vkbnc
— 🇺🇦 Ukraine Weapons Tracker (@UAWeapons) May 11, 2022
Ukrainian sources are claiming this artillery strike on a 2nd Army Russian command post near Izyum, Kharkiv Oblast, killed Major General Andrey Simonov.
— Jimmy (@JimmySecUK) April 30, 2022
It's yet to be confirmed by Russian sources but it's significant they named a specific general. pic.twitter.com/bohq0iX56G
Le Pentagone, justement, voit dans ces réussites une validation de ses orientations technologiques et choix stratégiques. Comme le note The War Zone, les officiels américains expliquent depuis des années que l'un des efforts principaux de modernisation de l'armée américaine, en prévision d'un potentiel conflit face à la Chine dans le Pacifique, doit se focaliser sur le développement d'une force de frappe aux portées variées, longues, très longues, ou vraiment très très longues.
Celle-ci, coordonnée par d'autres moyens (drones notamment) et interconnectée à un système d'information et de renseignement central, est la seule à même de frapper des zones que des troupes ou engins au sol ne peuvent se risquer d'approcher, du fait de défenses trop denses et de risques trop importants.
L'article de la section militaire de The Drive explique ainsi dans le détail les programmes en cours du côté américain pour avancer en matière de longue portée. Ils sont aussi nombreux que variés –et le pays y met les budgets nécessaires. Basé sur le canon automoteur M109 Paladin, le prototype XM1299 cherche à atteindre une portée approchant les 100 kilomètres avec des obus spéciaux.
L'effort porte également sur de nouvelles générations de missiles sol-sol comme le Typhon, un système terrestre capable de lancer des versions spéciales des fameux Tomahawk ou des missiles SM-6 et de toucher des navires (ou des cibles au sol) à plus de 950 kilomètres de distance.
Enfin, alors que la Russie a fait la démonstration de son propre Kinjal en Ukraine et que la Chine semble très avancée sur le sujet, le Pentagone souhaite accélérer la cadence pour le développement d'un missile hypersonique nommé Dark Eagle, qui pourrait frapper des cibles à une distance considérable de plus de 2.800 kilomètres.