«Du ruban adhésif double face, des gants, des clés Allen, un fer à souder, du plastique pour l'impression 3D, des roulements à billes, une balance électronique. À côté de tout ça, une grenade à fragmentation DM51 de fabrication allemande.» Bienvenue dans le quotidien de l'atelier ukrainien auquel Thomas Gibbons-Neff et Natalia Yermak du New York Times (NYT) ont consacré un article le 7 janvier, et dans lequel quelques bricoleurs bidouillent, jour après jour, pour obtenir la «grenade parfaite».
Le cahier des charges est relativement simple. Le poids de la chose ne doit pas dépasser celui qu'un drone Mavic DJ3 de la marque chinoise DJI (ou l'un de ses équivalents) peut emporter sans que ses capacités de vol ou son endurance ne soient obérées. Et, bien sûr, elle doit être capable de percer l'épais blindage d'un tank moderne, ce qui nécessite des caractéristiques dont tous les projectiles ne disposent pas.
The #UkrainianArmy is using some "homemade" kamikaze drones, built on the basis a powerful racing drone and equipped with a RKG-3 accumulative grenade. They can be really dangerous when used by experts, specially for light and non-armored vehicles, but also for tanks.#UkraineWar pic.twitter.com/fgZapgfb4J
— Like Rst ✊☠ (@rst_like) January 7, 2023
📽️A precise drop of grenade on Russian T-72B3M tank by Ukrainian drone. Another Russian tank of the same type was damaged. #UkraineRussiaWar pic.twitter.com/IdEEsdIQTq
— MilitaryLand.net (@Militarylandnet) August 17, 2022
Ukrainian drone with a drop-off
— Walter Report 🇺🇦 (@walter_report) September 29, 2022
40mm grenade (<100$)
vs russian tank (millions of $$$)
Who would win? pic.twitter.com/2Mb7oUnnZ6
Leur grande créativité, mise en œuvre avec efficacité depuis le début de la guerre en février dernier, peut faire des ravages à prix discount dans les rangs russes. Mais les Russes ne sont pas en reste: si elles peinent à être aussi créatives et réactives, freinées par les lourdeurs de la bureaucratie militaire, les troupes de Moscou ne se privent pas non plus de ces petits bricolages létaux.
«La guerre, c'est de l'économie. C'est de l'argent, explique au NYT Graf, un militaire ukrainien en charge de cet atelier et de cette unité dans l'est du pays. Et si tu disposes d'un drone qui coûte 3.000 dollars [2.800 euros, ndlr] et d'une grenade qui en coûte 200, mais que tu peux détruire un tank qui vaut 3 millions de dollars, alors ça devient intéressant.»
Holy Hand Grenade
Très intéressant, même: c'est en partie ce qui explique pourquoi, comme pour d'autres conflits récents mais de manière beaucoup plus massive et visible, la guerre déclenchée par la Russie donne un rôle si important à ces peu dispendieuses petites machines volantes, et aux mille et une manières de les transformer en vecteurs de mort, pour les blindés comme pour leurs occupants ou les troupes à pied.
A Russian BMP-3 crew abandons their dismounted infantry after taking a hit from a Ukrainian drone-dropped grenade from the 92nd Mechanized Brigade.
— OSINTtechnical (@Osinttechnical) November 19, 2022
The dismounted infantry is then targeted by additional grenades. pic.twitter.com/ul2BAMQIvx
Самодельный механизм сброса обеспечивает высокую точность — смотрите на видео. А онлайн-съемка позволяет в том числе вести разведку. Получается дешевое и эффективное оружие против отдельных солдат pic.twitter.com/kmubVUuGdB
— IanMatveev (@ian_matveev) April 29, 2022
#Ukraine️ : Drone Drops a Surprise
— Ukraine News 🇺🇦 (@Ukrainene) September 1, 2022
Ukrainian drone, 30mm grenade, Russian infantry
This footage showing a Ukrainian drone dropping a grenade on Russian infantrymen happened in Volodymyrivka (48.671271, 38.199235) near #Soledar pic.twitter.com/Gyizi52YV0
Alors, Graf et ses collègues cherchent. Il testent, essaient, abandonnent, adaptent, reprennent, bricolent. La grenade parfaite doit peser 450 grammes exactement. Certains des explosifs dont disposent l'Ukraine, fournis par les Occidentaux, pèsent moins. Mais ils n'ont alors pas le pouvoir pénétrant nécessaire à la destruction d'un tank.
D'autres, en revanche, seraient d'idéales candidates si elles ne souffraient pas d'un embonpoint dommageable pour le drone qui va les transporter. Graf et les siens sortent alors les outils de précision et le courage du démineur pour démonter les grenades et faire un peu de rétro-ingénierie.
Ils doivent, sans commettre d'impairs, essayer de comprendre les rouages et mécanismes propres à chacun d'entre eux et pour lequel nul mode d'emploi n'est fourni par la France, l'Allemagne ou les États-Unis, qui les produisent et les envoient.
Pour faire perdre un peu de poids aux grenades, ils impriment de nouveaux corps en 3D dans un plastique plus léger que le matériau initial. Ils inventent aussi un système d'attache et de déclenchement, et adaptent le tout aux drones utilisés sur le front. Avec parfois, disent-ils, des accidents pour ceux qui, en bout de ligne, manipulent ces munitions modifiées et dangereuses.
Selon Graf, la DM5 n'est pas une mauvaise candidate, du moins contre les troupes à pied –son mécanisme explosif n'a pas été conçu pour pénétrer le blindage d'un tank. L'équipe travaille donc sur un autre modèle de base, venu d'ailleurs et aux caractéristiques différentes.
Celui-ci semble parfait pour ravager un tank de 3 millions de dollars. Enfin, presque: malgré tous les efforts de Graf et des siens, il est encore quelques centaines de grammes trop lourd. La recherche et les bricolages continuent donc. Le jeu en vaut la chandelle.