Nous narrions récemment la révélation du secrétaire britannique à la Défense Ben Wallace, qui expliquait à qui voulait le croire que les forces ukrainiennes avaient découvert des systèmes GPS communs sommairement scotchés au tableau de bord de Su-34 russes.
Dans un article qui semble être la suite directe de cet épisode, mais qui en dit plus long encore sur l'état actuel des armées russes, sur leurs difficultés matérielles et sur la morsure réelle des sanctions occidentales, le Washington Post rapporte les propos de la secrétaire d'État américaine au Commerce, Gina Raimondo.
Lors d'une audition devant le Sénat, Raimondo a déclaré que le Premier ministre ukrainien, qu'elle a récemment rencontré, lui avait expliqué que des composants électroniques initialement destinés à des machines domestiques comme des lave-vaisselle ou des réfrigérateurs avaient été découverts dans les entrailles de chars russes tombés au combat.
Au-delà de l'aspect vaguement cocasse de la seconde armée du monde, qui paradait fièrement à Moscou le 9 mai mais qui doit croiser ses blindés avec les engins ménagers qu'elle pille par ailleurs en masse dans les territoires conquis, le rapport de Gina Raimondo est intéressant à plus d'un titre.
Il montre en particulier que les sanctions occidentales les plus efficaces contre la machine de guerre russe ne sont peut-être pas, ou pas encore, celles d'ordre purement économique.
Sous perfusion certes, le rouble s'est remis de sa dégringolade et, si le conflit coûte selon certains calculs 900 millions de dollars par jour à Moscou, c'est assez largement compensé par des revenus issus des exportations de pétrole et de gaz dont la robustesse ne fléchit pas –bien au contraire.
La dèche
Il est en revanche une chose que la Russie ne peut compenser, pas même auprès de nations comme la Chine, elle-même plutôt très en retard en la matière. L'Occident était, avant la guerre, le principal fournisseur en composants électroniques destinés au complexe militaro-industriel russe et, malgré quelques mauvaises surprises, les robinets ont semble-t-il été efficacement coupés.
«Notre approche a été de couper l'accès russe à la technologie, une manière de limiter leur capacité à poursuivre leurs opérations militaires, a expliqué la secrétaire d'État aux élus américains. Et c'est exactement ce que nous sommes en train de faire.»
Selon l'un de ses collègues, le volume d'exportations de ces équipements bannis en provenance des États-Unis et en direction de la Russie (semi-conducteurs, équipements de télécommunications, lasers, matériel aéronautique ou maritime) a baissé de 85%, tandis que leur valeur a augmenté de 97% par rapport à la même période en 2021.
Des dizaines d'autres pays ont adopté des mesures similaires. Les composants spécifiques aux équipements militaires sont concernés, mais les mesures occidentales s'appliquent également à ceux pouvant être doublement utilisés, dans des armes comme des produits domestiques.
Un peu plus tôt en mai, la Maison-Blanche se félicitait elle aussi de la réussite de son plan de sanctions techniques. Selon elle, deux des usines de chars les plus importantes en Russie, Uralvagonzavod et l'usine de tracteurs de Tcheliabinsk avaient dû mettre leurs chaînes de production à l'arrêt par manque de composants étrangers.
La Maison-Blanche expliquait aussi que la grande émigration de travailleurs hautement qualifiés provoquée par la guerre de Vladimir Poutine allait grandement compliquer les choses pour les industries technologiques russes –y compris militaires.
Les décorticages de drones russes de reconnaissance Orlan, tombés en nombre sous le feu ukrainien et bourrés de composants étrangers, avaient déjà révélé la grande dépendance de Moscou envers les technologies extérieures. Même chose pour les missiles de croisière ou les bombes à guidage dit «intelligent», que le pays utilise en masse contre l'Ukraine et dont il semble commencer à manquer.
Si son économie résiste encore peu ou prou et de manière sans doute transitoire aux sanctions occidentales, ses armées pourraient quant à elles rapidement manquer des moyens nécessaires à la complétion de leurs objectifs, quels qu'ils soient.
De leur côté, les livraisons d'armes à l'Ukraine par l'Occident vont bon train et devraient s'accélérer grâce à la signature d'une loi dite «prêt-bail» par Joe Biden. Il se dit qu'après ses espoirs initiaux de blitzkrieg, Vladimir Poutine se prépare désormais à une guerre longue. Il est fort possible que la Russie n'en ait pas les moyens.