Le mythique An-225 «Mriya», plus gros avion cargo du monde, détruit pendant la bataille. | Narciso Contreras / Anadolu Agency / AFP
Le mythique An-225 «Mriya», plus gros avion cargo du monde, détruit pendant la bataille. | Narciso Contreras / Anadolu Agency / AFP

Hostomel, la bataille héroïque qui a sauvé l'Ukraine de l'effondrement

Quarante-huit heures qui ont sans doute tout changé.

Lundi 27 février 2023. Cela fait 367 jours que dure l'«opération spéciale» lancée par la Russie en Ukraine, soit 365 de plus que ce que semblait espérer Vladimir Poutine en faisant pénétrer ses troupes en masse chez son voisin.

Le patron du Kremlin s'attendait à une chute de Kiev rapide et sans grande difficulté, un blitzkrieg impitoyable de son infaillible armée. Il s'est embourbé dans un conflit long et dont nul ne connaît l'issue, et qui a coûté plus de 200.000 hommes, des milliers de blindés et des dizaines d'aéronefs à son armée.

Cette extraordinaire résistance ukrainienne, celle que les Russes n'avaient manifestement pas vu venir, s'est manifestée très tôt dans le conflit. D'autres faits de gloire ont permis au pays de ne pas sombrer, mais une grande partie de l'échec russe initial s'est joué à l'aérodrome d'Hostomel.

La prise rapide des pistes intactes de cet aéroport où était notamment stationné le mythique An-225 «Mriya», plus gros avion cargo du monde et fierté nationale ukrainienne, était primordiale pour les plans russes, comme l'explique Stéphane Audran dans un fil sur Twitter.

Depuis l'est, le sud ou la Biélorussie, trois axes principaux de l'offensive russe initiale, la route était longue jusque Kiev. Longue, desservie par des axes routiers peu nombreux, boueuse du fait du début de la fonte et du phénomène de la raspoutitsa.

Établir une tête de pont dans un aéroport situé à quelques kilomètres seulement de Kiev était donc pour la Russie la garantie de pouvoir y déverser rapidement, par avion, des milliers d'hommes et du matériel lourd, qui pourraient accélérer le mouvement, fixer les armées ukrainiennes et aider à l'encerclement puis la prise de Kiev: Hostomel fut choisi.

Ashleigh Stewart, pour Global News, est revenue dans un long article sur l'âpre bataille qui s'est jouée autour et dans l'aérodrome, avec force détails et témoignages: c'est l'histoire qui s'est écrite ici, en quelques jours seulement.

Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes devenu le héros national qui a stoppé la «deuxième armée du monde», avait commencé à préparer le terrain d'aviation à toutes les éventualités, renforçant la présence de troupes et de matériel aux abords d'Hostomel.

Incrédulité

C'est pourtant l'incrédulité qui, en premier, frappe les militaires et les civils présents à l'aérodrome le 24 février. Au bord du précipice et malgré tous les signaux au rouge, beaucoup ne croyaient toujours pas à une invasion de grande échelle de la Russie.

Un signe: la veille de l'attaque, au soir, le An-225 «Mriya» était encore en réparation dans les hangars d'Antonov. Celles-ci terminées et malgré la menace, le bijou aéronautique n'a pas été déplacé comme il aurait pu l'être –la décision, qui fut fatale à cette fierté nationale, est d'ailleurs sous enquête.

«Nous n'étions pas prêts pour la guerre, confie à Global News Volodymyr Smus, l'un des responsables civils de la flotte stationnée à Hostomel. L'aéroport se préparait à la réception de Boeing et d'Antonov. Nous avions envisagé des frappes de missiles lors de réunions, mais pas une invasion à grande échelle.»

Celle-ci s'est manifestée tôt le matin du 24 février 2022, par le bruit caractéristique des hélicoptères rasant le sol et déboulant par dizaines vers l'aéroport. La Russie envoyait alors une petite masse de troupes d'élite, la 45e brigade Spetsnaz et du matériel léger, transportés par la 11e brigade d'assaut aéroportée russe, pour s'emparer de l'aérodrome.

Le commandant Vitalii Rudenko, chargé de la défense de la base, n'en a cru ni ses yeux ni ses oreilles. «Nous ne les avons d'abord pas vus parce qu'ils volaient très près du sol, explique-t-il à Ashleigh Stewart et Global News. Nous les avons aperçus quand ils ont surgi à la cime des arbres et se sont mis à tirer sur l'aéroport. Je n'ai probablement pas cru que ce serait possible jusqu'au dernier moment, qu'une invasion à grande échelle était possible, mais après le premier groupe d'hélicoptères, j'ai compris que ça avait réellement commencé.»

Des Mi-24, des Mi-8, de redoutables Ka-52 «Alligator»: Rudenko estime entre trente et quarante le nombre d'hélicoptère ayant procédé à cette première attaque sur Hostomel. Vitalii Rudenko donne l'ordre à ses troupes de faire feu sur les appareils, notamment avec des MANPADS, armes de défense antiaériennes: il estime en avoir abattu six et endommagé deux autres.

Au sol, les hélicoptères qui s'en sont tirés commencent à déverser leur flot de parachutistes d'élite. Vitalii Rudenko est brave mais pas téméraire: face à de tels soldats, et avec les petits moyens qui étaient les siens, une confrontation directe signifiait la mort.

«Nos ennemis nous ont dominés dans les airs, et ils avaient beaucoup plus de parachutistes, se remémore-t-il. Pour sauver les vies de ma troupe, nous avons dû effectuer une retraite.»

Pistes noires

Techniquement, les Russes peuvent donc s'emparer de l'aérodrome d'Hostomel. Mais alors que les hommes de Rudenko tentent de sauver leur peau pour poursuivre le combat plus tard, à distance, l'artillerie ukrainienne se met en branle, étrangement délaissée par les hélicoptères d'attaque de Moscou.

Conscient de l'urgence, Valeri Zaloujny fait rappliquer en urgence des troupes à Hostomel. Des forces spéciales, de l'artillerie, la redoutable légion géorgienne, la 72e brigade mécanisée et la 4e brigade de réaction rapide, formée aux standards de l'OTAN, gagnent rapidement Hostomel et s'installent aux abords de l'aérodrome, afin de contenir et de harceler les Russes.

Et c'est là que tout se joue, c'est sur cette phase de la bataille que, peut-être, Kiev et l'ensemble de l'Ukraine se sauvent. Les forces en jaune et bleu réussissent à infliger suffisamment de dégâts aux pistes de l'aérodrome pour que les gros-porteurs russes ne puissent y atterrir et déverser les milliers de soldats et les blindés lourds qui auraient pu tout changer. Déjà en chemin, ces Il-76 sont forcés de faire demi-tour.

Pendant un temps, la situation semble confuse, l'Ukraine affirmant le soir du 24 avoir repris le contrôle de l'aérodrome. Le lendemain en revanche, un afflux de troupes russes entrées en Ukraine via la Biélorussie donne un avantage décisif aux forces de Moscou, qui s'emparent de l'aérodrome.

Ou plutôt de ce qu'il en reste: la résistance acharnée des Ukrainiens a rendu l'aéroport inutilisable pour l'aviation russe. Ailleurs autour de Kiev, à Irpin, à Boutcha où l'horreur d'indicibles crimes contre des civils répondra au carnage militaire de la colonne de blindés russes, à Moshchun, d'autres batailles tout aussi homériques ont lieu.

La résistance ukrainienne est féroce et les dégâts infligés à des troupes russes mal organisées, mal dirigées et à la logistique plus que défaillante sont énormes. Acte majeur dans la défense de Kiev, la destruction d'un barrage sur la rivière Irpin et l'inondation de vastes étendues de plaines permettent de ralentir un peu plus l'avancée des troupes de Moscou en direction de la capitale ukrainienne.

Sans l'appui des troupes et matériels que les Il-76 auraient dû déverser en masse à Hostomel, les forces armées russes échouent aux portes de la ville. Le 29 mars, la Russie annonce sa piteuse retraite du nord de l'Ukraine, et ses troupes quittent l'aéroport, en ruine. Si celui-ci avait pu être transformé en une tête de pont solide et sécurisée, le destin de Kiev aurait peut-être été tout autre.

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