Imaginez. Vous êtes face à une immense pile de linge, le tri blanc-couleurs sombres-couleurs claires a été fait, vous êtes prêt au combat, la pastille de lessive dégainée, le programme bien en tête. Et puis, soudain, votre fidèle machine se met à hoqueter, elle émet un «bang» tout à fait inhabituel et tout s'arrête, vous laissant comme deux ronds de coton, ceux que vous n'allez justement pas pouvoir laver.
Figurez-vous que cette mésaventure domestique plutôt classique peut aussi intervenir sur le front du Donbass, dans l'est ukrainien, en plein combat contre des Russes prêts à vous déchiqueter jusqu'au dernier orteil. Sauf qu'au lieu de votre bonne vieille machine à chargement par hublot, on parle d'un canon M777 offert par le Pentagone.
Vous êtes un artilleur ukrainien, votre obus refuse catégoriquement de partir et le temps presse car, après tout, c'est une question de vie ou de mort. Que faire? Appeler l'une des hotlines dédiées mises en place par les alliés de l'Ukraine. C'est en tout cas ce qu'explique l'agence Associated Press (AP) dans un article dédié à cette assistance en direct du champ de bataille.
Lolita C. Baldor, autrice de l'article, raconte ainsi la petite panique vécue par ce soldat dont le canon s'est tout d'un coup mis à refuser de fonctionner, un obus de 155mm ne «percutant» pas. Au beau milieu d'un échange de politesses explosives entre armées ennemies, voilà qui est plutôt embêtant. «Qu'est-ce que je fais? Quelles sont mes options?», a donc demandé le militaire à la personne chargée de ce SAV situé dans un centre en Pologne.
Au bout du fil, ou plutôt sur l'écran d'une tablette et au travers d'une plateforme chiffrée pour éviter toute interception indélicate, un conseiller technique –souvent lui-même militaire, mais des civils sont aussi de la partie– a conseillé dans l'urgence un amorçage manuel de la chose, et de réessayer. «Boum!», l'obus est parti et tout est rentré dans l'ordre.
Ligne très chaude
Comme nous le précisions le 28 novembre dernier, le matériel envoyé à Kiev par ses alliés occidentaux souffre. Il est utilisé à pleine capacité, sinon au-delà, par des armées prises à la gorge par l'ennemi russe. Les M777 ou M109 Paladin américains, les Panzerhaubitze 2000 allemands ou les Caesar français, pour ne citer qu'eux, tirent, dans des conditions difficiles, des dizaines de milliers d'obus à la limite de la puissance permise.
Il a un temps été estimé que 20.000 projectiles étaient quotidiennement utilisés côté ukrainien et 60.000 côté russe. La cadence est telle que les États-Unis doivent aller piocher dans des stocks en Israël ou en Asie, et qu'ils ont annoncé multiplier leur production par six. La France et l'Australie, de leur côté, ont décidé de se rabibocher pour fabriquer ensemble des obus pour l'Ukraine.
Mais cette utilisation extrême pose, c'est classique et surtout normal, des problèmes de fiabilité. Soumis à des cadences et à une pression dantesques, les tubes s'usent et finissent parfois par rompre; des mécanismes coincent; des composants s'enrayent.
Les troupes ukrainienne ont été formées, mais en quelques semaines seulement. Alors, lorsqu'en pleine bataille, elles ont besoin d'aide et de conseils, elles se tournent vers ces hotlines salvatrice. S'il existe des ateliers partout en Pologne qui permettent la réparation des matériels défectueux avant de les renvoyer sur le front, ce sont en effet ces centres d'appels qui œuvrent quand les obus pleuvent et que le problème doit être réglé dans la minute.
Des interprètes sont aussi présents pour permettre à la conversation de se tenir et des manuels sont rapidement rédigés en langue ukrainienne pour les troupes utilisant ces matériels occidentaux, de plus en plus divers et complexes. Mais cela ne règle pas les problèmes imprévus nés au cœur de l'action.
Cette unité restant à distance est nommée la «remote maintenance team». Elle est constituée d'une cinquantaine de personnes mais ses effectifs devraient bientôt tripler, les besoins de soutien des Ukrainiens croissant en même temps que les matériels divers livrés par l'Occident.
«Très souvent, nous recevons des appels directement depuis la ligne de front, donc on entend des obus partir, d'autres arriver, au moment où nous essayons d'aider les techniciens sur place à régler le problème du mieux qu'ils peuvent», décrit l'un de ces agents distants à AP. Il arrive couramment que la communication coupe, les artilleurs devant se mettre à l'abri en attendant de recevoir les instructions de réparation.
Les appels se font, quand c'est possible, par vidéo. Mais dans le feu de l'action et en pleine cambrousse ukrainienne, même Starlink ne réussit pas toujours à faire des miracles. «Souvent, quand ils sont sur le front, ils ne peuvent pas nous appeler en visio, parce que la connexion internet est limitée. Ils nous envoient des photos, et nous les scrutons pour rendre notre diagnostic», explique un autre militaire.
L'équipe rencontrée et décrite par la journaliste d'Associated Press n'est qu'une parmi d'autres. Conscientes de l'importance vitale que prend l'intendance dans un tel conflit, dix-sept nations aidant l'Ukraine sur les plans matériel et technique ont réuni leurs savoirs dans une base militaire en Allemagne. Il s'y gère un réseau complexe d'appui logistique, d'ateliers de réparation à la frontière polonaise, de réseaux de pièces détachées ou de hotlines destinées à ces cas de grande urgence.
