Il y a quelques semaines, nous racontions la gaffe colossale de ce «journaliste» russe qui, ne prenant pas suffisamment de précautions pour montrer un mortier géant à ses concitoyens, avait offert sur un plateau son emplacement exact aux forces ukrainiennes. Ces dernières n'avaient plus eu qu'à viser pour mettre l'extraordinaire arme hors d'état de nuire.
Ce genre de mésaventure, pour utiliser une sacrée litote, n'est malheureusement pas rare. Nombreux sont les journalistes ou spécialistes de l'OSINT (open source intelligence) qui, sur les réseaux, mettent d'ailleurs en garde sur la question: le renseignement est une arme à double tranchant.
Lorsque l'on diffuse des images, le moindre détail peut ainsi se transformer en un renseignement précieux pour les armées d'en face, qui guettent elles aussi toute information pouvant guider leurs frappes, et ce sur tous les supports et toutes les plateformes.
C'est ainsi que, comme l'a repéré notre confrère Guillaume Ptak, reporter présent en Ukraine, le journaliste polonais Mateusz Lachowski accuse une équipe de journalistes envoyés par TF1 dans le Donbass d'être involontairement responsable de la mort d'un soldat ukrainien.
According to Polish journalist @LachowskiMateus, this story by French television channel @TF1 in #Ukraine got a Ukrainian soldier killed : the crew showed maps used by the units, that were supposedly later used by the Russian army to target the position. #Ukraine #UkraineWar https://t.co/8dziFjqRcd
— Guillaume Ptak (@guillaume_ptak) June 26, 2022
L'information tue
Dans un tweet que rapporte le média polonais Wprost, Lachowski présente ainsi un homme, surnommé «Keks», comme un prothésiste dentaire dans le civil, revenu sous les drapeaux des Forces armées de l'Ukraine défendre sa patrie.
«Cet enregistrement date d'il y a neuf jours, écrit-il, selon la traduction automatique fournie par la plateforme. Malheureusement, “Keks” est mort. Il est mort sous le feu russe après que des journalistes français venus nous chercher ont révélé des positions ukrainiennes.»
To jest „Keks” żołnierz ukraiński, ochotnik, bronił Ukrainy. W cywilu był technikiem dentystycznym. To nagranie sprzed 9 dni. Niestety „Keks” nie żyje. Zginął pod rosyjskim ostrzałem po tym jak francuscy dziennikarze, którzy przyjechali tam po nas ujawnili Ukraińskie pozycje. pic.twitter.com/PtqoM8NBTA
— Mateusz Lachowski (@LachowskiMateus) June 19, 2022
Dans un second tweet, Mateusz Lachowski explique que l'équipe française, venue tourner un sujet sur l'utilisation de drones commerciaux par les forces ukrainiennes, a vu sa chaîne diffuser le reportage très rapidement après son montage et son envoi.
Celui-ci, encore visible sur les plateformes numériques de la chaîne, montrait des éléments et détails –notamment des cartes militaires– suffisants pour permettre aux renseignements russes de situer précisément les troupes ukrainiennes, puis d'effectuer une frappe sur leur position. «Keks» aurait ainsi fait les frais de cet imprudent dévoilement.
Guerre en #Ukraine : dans le Donbass, les drones de loisirs font la chasse aux blindés https://t.co/ssTCAJc05Z pic.twitter.com/uqntQjpFq0
— TF1Info (@TF1Info) June 18, 2022
Également sur place avec son confrère Marcin Wyrwał, Lachowski dit avoir aussi tourné des images dans la zone, mais ne pas les avoir diffusées immédiatement. Il précise en outre les avoir montrées aux forces ukrainiennes concernées, pour s'assurer que rien ne pouvait mettre leur sécurité immédiate en péril.
The journalists told the soldiers they would blur and obscure any confidential material, and send the recording to the Ukrainians for verification before publication so as to protect the Ukrainian positions.
— Mateusz Lachowski (@LachowskiMateus) June 26, 2022
Its not the first time when media cause more harm than good in this war.
Quelle que soit la réalité du récit de Lachowski et la responsabilité réelle des journalistes français ou de leur chaîne dans la mort de «Keks», qui à ce stade ne peut être établie sur le simple témoignage de Mateusz Lachowski –qui a depuis apporté d'autres éléments–, c'est un rappel douloureux que l'information, en temps de guerre, est aussi une arme. Et ce d'où qu'elle vienne.